Alberto
Breccia - Cauchemars
Rackham
- 2003
L'uruguayen Alberto
Breccia (1916 - 1993) fut un des contributeurs
majeurs de l'histoire de la bande dessinée argentine.
Avec Hugo Pratt et
Solano Lopez,
ainsi que des scénaristes comme Hector
Oesterheld, il a permis, à l'intérieur des
contraintes feuilletonesques du récit de genre, de dégager
la bande dessinée argentine de la simple copie de ses
modèles nord-américains pour atteindre une spécificité
qui fera école aussi bien en Argentine (Munoz
en tête) qu'en dehors de ses frontières (Mattotti
par exemple).
Dans les années 60, Breccia publie des chefs d'œuvre
de science-fiction comme Mort
Cinder et L'éternaute.
Durant
les années 70, la junte militaire prend le pouvoir en
Argentine. Oesterheld,
scénariste complice de Breccia
est enlevé par un groupe paramilitaire et disparaît
à jamais. Breccia,
dont l'œuvre et les positions ont toujours été engagées,
vit dans la crainte constante d'être arrêté. Mais,
envers et contre tout, il décide de rester en
Argentine.
C'est
pendant cette période qu'il passe du noir et blanc dans
lequel il était passé maître au dessin en couleurs
directes. Breccia,
qui n'a jamais cessé d'interroger et de remettre en
question sa pratique artistique en la renouvelant
constamment, part à nouveau dans une nouvelle aventure
artistique. Dans un monde qui bascule dans l'horreur,
seule l'intégrité artistique, sous-tendue par un réel
sens de l'humain, permet de survivre.
Le travail sur la couleur de Breccia culminera en 1982 dans sa géniale transposition de Dracula
(album paru aux Humanoides associés mais
malheureusement aujourd'hui indisponible). Dans un chapître
à la force d'évocatin inégalée en bande dessinée,
les tortionnaires de la dictature sont présentés comme
les réels suceurs de sang qui détruisent le pays et le
peuple. Quelques mois plus tard, la dictature disparaîtra,
démantibulée par l'échec de la guerre des Malouines.
Mais
auparavant, en 1981, Breccia aura aussi réalisé une série de récits courts,
transpositions en quelques planches de classiques de la
littérature populaire, donc cinq d'entre eux sont présenté
dans ce magnifique Cauchemars. Jean Ray, H.P.
Lovecraft,, Stevenson (avec un Jekyll et
Hyde dont on ne sort décidément pas) sont
notamment au programme. Comme il est bien indiqué dans
la postface de l'album, il ne s'agit pas ici
d'adaptations mais en quelque sorte de notes de lectures
disposées sous la forme de courts récits dans lesquels
Breccia s'attache
avant tout à extraire les émotions qu' il a ressenties
à la lecture et à les transcrire sur papier. Grâce à
l'extraordinaire force expressive de son dessin, il
parvient en quelques planches à nous plonger entièrement
dans les ambiances qu'il crée de main de maître.
Notons également que le travail de Rackham en ce qui
concerne la qualité d'impression des planches est en
tous points remarquable. Qualité de travail qu'on
devrait retrouver dans les futurs albums de Breccia
que l'éditeur projette d'éditer, dont le cycle très
attendu d'adaptations de Lovecraft, compilé sous le titre Les mythes de Cthulhu.
Si vous connaissez déjà Breccia,
ma chronique ne vous aura sans doute pas appris grand
chose, mais dans le cas contraire, n'hésitez pas un
seul instant à vous procurer les œuvres de celui que
je considère personnellement comme le plus grand
artiste de l'histoire de la bande dessinée.
Fred
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