Nouvelle
satire foutraque de Tom DiCillo, Delirious
se raconte comme un conte de fée doux-dingue,
habitée par la plus frivole des princesses :
Michael Pitt. Pitch simplissime : un jeune
SDF (Michael Pitt), recueilli par un paparazzo
(Steve Buscemi) qui en fait son assistant, se
retrouve projeté par accident au devant de la scène.
Il rencontrera la starlette du moment qui le
rendra fou amoureux. En réalisant cette fable,
DiCillo consacre la bouille charnue de Michael
Pitt en faisant de lui une star dans le film, mais
surtout en saluant le talent singulier de cet
acteur. Delirious
repose donc sur la mine ingénue d’un candide
traversant les lieux sans jugement aucun, à la
recherche de la femme désirée. Dit ainsi, on a
l’impression d’avoir à faire avec un remake
d’un conte voltairien par l’équipe de Dawson.
Mais, la fable vécue par Toby
se teinte d’une désillusion décrépite au
point qu’elle n’arrive jamais ni à se
convaincre elle-même, ni le spectateur. C’est
ce détachement qui rend la satire de DiCillo
particulièrement maligne et gracieuse.
Le
film met en place deux univers très opposés :
les peoples (« pipole » comme on dit aujourd’hui) et la
rue incarnée par un SDF et un photographe raté,
qui affichent une paradoxale dépendance aux
idoles. Galantine
(S.Buscemi) gagne son pain à les mitrailler de
clichés, tandis que Toby (M.Pitt) vit d’amour et d’eau fraîche en pensant à la
jeune chanteuse (Alison Lohman). Et puis sans
eux, les idoles ne seraient pas. Le paparazzo,
conscient de cette dépendance, affirme néanmoins,
à de nombreuses reprises l’égalité entre ces
deux mondes. Mais au contraire de son naïf
esclave, il sera toujours à l’extérieur, comme
pris d’un sentiment de classe qu’il
dissimulera derrière son objectif. Car, toujours
bon à régler le compte des uns et des autres,
Galantine se marginalise car il maintient son
appareil entre le monde extérieur et lui, comme
une façon définitive de juger les gens, figés
à jamais sur la pellicule. L’obturateur
photographique devenant par cette occasion le
cache d’une réalité en mouvement à laquelle
il ne veut, il ne peut accéder.
DiCillo
cadre son film sur les entrées, les sorties, les
accès restrictifs, et les transgressions de
frontières, que seul le SDF errant saura
accomplir. Galantine ratera l’entrée, sera
contrôlé par les vigils, ou abandonnée par son
assistant, lequel finira absorbé par le regard de
sa chanteuse vénérée.
Toby réussit, malgré lui, à se
faufiler au plus près de ce monde de strass et de
paillettes. Cet improbable enchaînement de
situations lui donne un caractère surnaturel. Le
garçon de la rue sera invité partout, deviendra
acteur, rencontrera son idole, devenant lui-même
la star que tout le monde s’arrache. Et ce
n’est pas sa gueule d’ange qui ira à
l’encontre de ce succès soudain, car à
l’image de ces chérubins de la providence, il
survole les lieux traversés dans un état
extatique proche de l’Apparition. Dans certaines
scènes, son regard cristallin, sa blondeur native
seront éclairés par une lumière impossible
digne des lueurs divines. L’ange n’est
certainement pas la popstar de pacotille dans Delirious, mais bien Michael Pitt, qui trimballe son attachante
insouciance jusqu’aux dernières secondes d’un
film qui se décolle de plus en plus du réalisme
taché, râpé des rues de New York.
En
effet, l’irréalité croissante du personnage
confère au film un pessimisme caché, ajoutant à
la satire initiale un second degré pertinent. On
se demanderait même si Michael Pitt ne rêve pas
tout simplement de sa belle aimée, coincé dans
son cagibi-lit que lui avait proposé si généreusement
Galantine. Par cette variation, Delirious
se charge d’un plombant pessimisme, qui
n’apparaît que sous les apparences d’une
bluette heureuse et anodine. DiCillo dresse le
constat d’une émulation impossible entre la rue
et les idoles, qui fixent entre eux un rapport
distancié. Peut on vraiment croire à cette
idylle ? Ou n’est-ce pas tout simplement
l’imagination fantasmatique nourrie par cette
distance entre idoles et star ? Il semble que
la fable Delirious, à
travers l’aventure délirante de Toby,
ne reflète tout simplement que les fantasmes
engendrés par l’idolâtrie et la starification
des images populaires, plutôt que la simple
amourette d’un gosse de la rue et d’une
mignonne starlette.
Maxime Cazin
Comédie
Américaine – 1 h 47 – Sortie le 4 juillet
2007
Avec
Steve Buscemi, Michael Pitt, Alison Lohman…
Plus+
www.delirious-lefilm.com
|