La
femme de Gilles de Frédéric
Fonteyne
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Le premier film de Frédéric Fonteyne, Une
liaison pornographique, assez moyen au demeurant,
sorti en 1999 mettait en scène une femme désireuse de
réaliser son fantasme sexuel. Etrangement, le second
film de ce réalisateur et scénariste belge, beaucoup
plus classique et formel, a encore à voir avec la
fantasmagorie féminine, même si elle est plus diffuse
ou suggérée qu’auparavant.
L’ancrage du film dans les années 30
notamment illustré par les vêtements et sa
localisation dans une campagne de l’Est qui s’ouvre
à l’industrie des hauts fourneaux ne doivent être
perçus que comme l’adaptation très fidèle du roman
de Madeleine Bourdouxhe paru en 1937. En effet,
l’histoire centrée sur trois personnages
s’affranchit bien vite de l’environnement : il
n’y a qu’une seule scène de travail et la plupart a
lieu dans la maison de cette petite famille. Un couple
avec deux enfants, en attente du troisième, dans lequel
l’amour et l’harmonie semblent régner. Elisa (Emmanuelle
Devos) voue un culte à son mari Gilles (Clovis
Cornillac). Elle est tout à la fois sa femme, la mère
de ses enfants et une servante consentante – l’époque
n’étant pas encore au partage des taches ménagères.
Mais Elisa a une sœur cadette : la jolie et libre
Victorine (Laura Smet) dont le charme troublant
ne semble pas laisser indifférent Gilles. C’est
d’abord ce que soupçonne Elisa, à l’affût du
moindre détail qu’elle exploite de manière paranoïaque,
confinant à la mythomanie ou au fantasme (on y
revient). Les soupçons deviennent réalité, sans que
l’on sache vraiment si Gilles et Victorine l’ont
complètement décidé ou ont été les instruments, même
à son propre insu, de la subtile et volontaire Elisa.
C’est sur ce point énigmatique
laissant entrevoir des abîmes vertigineux que le film
prend toute son ampleur. Fonteyne, en adaptateur
dévoué, privilégie la seule vision d’Elisa, réduisant
à néant les pensées ou motivations des deux autres
protagonistes. Il a choisi de ne pas utiliser de voix
off, ni d’avoir recours à des flash-back explicatifs.
Gilles est tour à tour mythifié puis traité comme le
dernier des salauds, acceptant ces appréciations sans
les contester ou se défendre. A ce sujet, Clovis
Cornillac, dans son interprétation très juste qui
mêle la souffrance et le consentement laxiste, avoue
dans quelques interviewes qu’il s’est senti comme
une femme sur ce tournage.
L’ambivalence d’Elisa qui complexifie agréablement la
vision de ce film et éclaire d’un jour nouveau sa
conclusion n’est certes pas le seul élément
participatif du plaisir pris, même s’il oblige le
spectateur à la réflexion ou à la conjecture sur le
comportement de celle-ci. Il faut bien sûr y ajouter la
facture absolument splendide des images. Le travail sur
la lumière, la reconstitution minutieuse des conditions
de vie des années 30 et le choix des paysages pour les
quelques scènes d’extérieur font du film une
succession de tableaux naturalistes, largement inspirés
de Vermeer. La jubilation prise grâce à l’épaisseur
psychologique des personnages se double donc de celle liée
à l’esthétique.
Enfin, Emmanuelle Devos excelle dans ces rôles de
victime supposée et de manipulatrice plus ou moins avouée.
Dans un décor plus moderne, une ambiance nettement plus
noire, Sur mes lèvres (Jacques Audiard)
lui avait déjà permis une composition proche, ce dont
personne ne pourra se plaindre.
Présenté à la dernière Mostra vénitienne, gageons que
ce film de forme classique au sujet presque vieux comme
le monde, ici savamment balisé et situé, puisse
recevoir l’approbation du jury, ce qui serait
largement justifié.
Patrick Braganti
Français, belge – 1 h 43 – Sortie 15 Septembre 2004
Avec Emmanuelle Devos, Clovis Cornillac, Laura Smet, Alice Verlinden, Chloé Verlinden
Site du film : www.lafemmedegilles.com
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