Le
premier plan de Still life, lent travelling
circulaire, cadre des passagers sur un bateau
occupés à jouer, écouter leur téléphone,
manger, somnoler dans une promiscuité encore
renforcée par la quasi nudité des corps. A la
proue du navire, San Ming, un peu isolé, enlève
sa veste pour être plus à l’aise dans son
marcel blanc – on ne lui verra pas d‘autre vêtement
- avant d’accoster à Fengjie. Venant d’une
lointaine province, il débarque pour retrouver
son ex femme et sa fille qu’il n’a pas vues
depuis seize ans. En parallèle, Shen Hong est
aussi à la recherche de son mari disparu depuis
deux ans.
Les
deux personnages en quête amoureuse de leur passé
plus ou moins éloigné sont confrontés à un
lieu déterminant dans leur démarche et leur
rapport au monde. En effet, la ville de Fengjie,
située sur les rives du fleuve Yangzi Jiang, le
plus long de Chine, est l’endroit stratégique où
s’érige le barrage des Trois Gorges, à terme
le plus grand barrage hydroélectrique du monde
dont l’édification provoque bien des impacts
non négligeables sur l’environnement et sur les
habitants déplacés par centaines de milliers.
Pour
San Ming et Shen Hong, la recherche s’apparente
à un jeu de pistes qui les plongent dans les
mutations accélérées d’une région.
L’ancienne adresse de San Ming est désormais un
petit bout de terre émergeant à peine des eaux
et l’administration locale en butte aux colères
des autochtones ne peut lui fournir d’éléments
sur la localisation de son épouse. En attendant,
San Ming rejoint une équipe de démolisseurs qui
par une ironie mordante détruisent les immeubles
qu’ils avaient eux-mêmes construits sous la période
précédente du communisme.
Par
l’entremise d’un ami commun, Shen Hong peut
revoir son mari, directeur de la compagnie de démolition
qui a une liaison avec sa patronne. Elle évoque
alors une nouvelle vie, un homme qu’elle aime et
qui l’attend an aval pour la ramener à
Shanghai, et demande le divorce.
Still
life signifie à la fois « encore en vie »
et « nature morte ». Encore en vie,
c’est ce que tente de maintenir les deux
personnages – et de façon plus globale une
population subissant les changements à grande
vitesse de leur cadre de vie. La nature morte, on
peut la voir comme une métaphore de
l’engloutissement des sites historiques et archéologiques
et la disparition d’un espace naturel noyé à
jamais. Mais le film est aussi ponctué de plans
fixes (la caméra se fige quelques secondes) comme
de véritables natures mortes – autant de
peintures - autour de denrées (cigarettes, vin,
thé, bonbons) servant ensuite d’offrandes et de
traits d’union entre les personnages.
Still
life a reçu le Lion d’Or au dernier
festival de Venise, récompense tout à fait méritée
au regard de sa splendeur formelle. Le film qui
travaille notamment sur le passage du temps
inscrit dans la transformation des corps et du
paysage se rapproche de la peinture classique.
D’ailleurs, le point de départ a été un
projet de documentaire sur un peintre chinois. On
retrouve ici les éléments inhérents à la
peinture nationale : la rivière, la montagne
et la brume. Le film est ainsi enveloppé d’un
brouillard permanent, créant une étrange
sensation d’irréalité vaporeuse. Cette
impression de rêve, de s’immiscer dans
l’imaginaire et le surréalisme se confirme
lorsqu’une soucoupe volante traverse le ciel
au-dessus de Shen Hong ou lorsqu’un immeuble qui
a tout l’air d’un totem décolle comme une fusée.
Si
les premières images se déroulant comme un
rouleau de peinture chinoise augurent de la
magnificence annoncée du film, les dernières qui
montrent un ouvrier avançant en équilibre sur un
fil illustrent la dualité omniprésente. Celle
qui oppose l’ancien et le nouveau monde :
le communisme en plein effondrement et le
capitalisme se construisant sur ses ruines et
produisant au final les mêmes effets sur les
tranches les plus pauvres du peuple. Celle qui
instaure une frontière entre les hommes et les
femmes : les premiers attachés aux valeurs
traditionnelles avec ces nombreuses scènes
presque érotiques de groupes où, à demi-nus à
cause d’une chaleur étouffante et moite, ils
partagent repas ou cadre de travail ; les
secondes plus volontaires, plus déterminées à
faire choir les barrières et sortir d’un
certain immobilisme.
Film
ambitieux, au rythme lent, Still life tient
du documentaire, de la réflexion politique et du
conte philosophique et mêle néoréalisme avec poésie.
Patrick
Braganti
Drame
chinois – 1 h 48 – Sortie le 2 Mai 2007
Avec
Han Sanming, Zhao Tao, Li Zhubin
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