Pour
son premier roman, Haskell
évoque l’Amérique telle qu’on la mythifie :
la route, les stations essences, les rencontres
incongrues, la fuite vers l’Ouest, la perte
d’identité…dès les premières lignes, c’est
l’esprit des films de Lynch, de Huston, de tous
ces réalisateurs adeptes de « roads movies »
qui entre en scène, et on pense enfin,
obligatoirement, au magnifique Sur
la Route de Jack Kerouac.
C’est
un Jack, justement, qui sort d’une station
d’essence et constate que sa femme Anne et sa
voiture ont disparu. Le récit démarre là, de la
manière la plus concrète, pour ensuite se
disperser, se perdre et partir dans tous les
sens…jusqu’à ne plus en avoir. Car la force
d’American
Purgatorio réside évidemment (sinon, ce serait
un roman déjà-vu et affreusement quelconque) dans
le récit intérieur du héros parti à la recherche
de sa femme à travers des Etats-(dés)Unis
étranges, presque surréalistes et peuplés
de citoyens bizarres. Ce livre est quasiment un
monologue métaphysique, la longue descente aux
Enfers d’un homme, qui perd sa femme et se perd
ensuite. Tout au long du récit, composé de sept
blocs bien distincts, dont chaque titre repend en
latin un péché capital, le héros confronte son désespoir
dans sa quête improbable de l’être aimé, à son
inappétence à rester égal à lui-même. « Un
seul être vous manque, et tout est dépeuplé »
pourrait être l’adage qui colle à Jack : il
poursuit son voyage bardé de souvenirs qu’il
ressasse encore et toujours, jusqu’à ce qu’ils
se superposent aux faits qui se passent sur
l’instant. Dès lors, le récit s’opacifie.
Qu’est-ce qui existe présentement ou qui fut
quand il était avec Anne ? Où est
l’imaginaire ? Le vécu ? Le fantasme ?
John
Haskell se garde bien de distinguer cet enchevêtrement
de pensées, et rend donc la quête de Jack souvent
nébuleuse, onirique, presque surréaliste. On peut
évidemment rester complètement en dehors de ce
road-book doux et inquiétant, au style détaché,
à la fois très près des sentiments du héros et
extrêmement clinique dans la description des événements.
Mais on peut aussi, comme moi, être bouleversé
par cet homme qui, par amour, s’abîme et se
consume dans sa course désespérée pour retrouver
sa moitié, sa vie passée, son existence désormais
meurtrie. L’écriture tour à tour douloureuse et
délicate de John
Haskell étonne ou fatigue, mais il s’agit là
d’une écriture peu commune, accrochée à la
grande tradition des livres américains amples, basés
sur la mythologie des grands espaces et des grands
sentiments, mais qui reste cloisonnée, malade,
enfermée par les tourments psychologiques, les émois
intérieurs de Jack.
Si
la fin peut surprendre et reconsidérer la majeure
partie de cette traversée américaine qui ressemble
à un dédale menant au Purgatoire, on garde
cependant en tête, une fois le livre refermé, tout
ce qui en fait son caractère particulier : les
errements amers, les questionnements sans fin, les
passages à vide, les trouées extatiques, les
sentiments flous, les douleurs sourdes, la perte de
l’autre, la perte de soi…
Jean-François
Lahorgue
Date de
parution : 4 janvier 2007
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