Ceux
qui avec bonheur ont déjà arpenté les premiers
opus de Denis Grozdanovitch ne seront pas dépaysés
par ce volume ; Les autres eux feront mine de s’égarer
dans les longues phrases méandreuses à goût
Proustien de l’oiseau. Comme éparpillés par tant
de gongorisme (1), ils se retrouveront au creux
d’un chemin buissonnier où non loin de l humour
pince sans rire et de l’amour du non-sens (plus
anglo que saxon) une boussole aimante les souvenirs.
Ils éprouveront la douce impression d’être entamés
par une prose en perpétuelle trêve, comme dans une
bulle d’air, ce qui il faut bien l’avouer nous
éloigne du sujet initial (quoique) qui me semblait
être Denis Grozdanovitch, le tennis tout ça….
(Je perds le nord et vous au passage donc,
retrouvons notre oiseau !)
Sorte
de Woody Allen goy mâtiné de Benchley
et tennisman défroqué écrivain, voyez-vous notre
oiseau ! Ses trois premiers volumes étaient des
considérations sur la littérature, le temps qui
passe, le monde moderne qui est là et les femmes,
qui sont là les femmes (oui derrière) ! Dans cette
nouvelle livraison où il n’est question que de
jeux de balles (Tennis, Squash, Courte paume) notre
homme (l’entité Grozdanovitch) ouvre quelque uns
des ces précieux carnets nous abandonnent de facto
à moult anecdotes rigolotes… Un tournoi en pleine
banlieue au cœur des grands ensembles où
deux joueurs smart gentry entrent en choc
frontal avec une population autochtone pas tout à
fait au fait de la chose tennistique…une
merveilleuse histoire avec la silhouette de Jacques
Tati qui passe discrètement et cette autre histoire
où un arnaqueur transalpin chose incroyable…
arnaque ! Comme notre oiseau à également et en
dilettante pratiqué la profession de moniteur de
tennis nous avons également droit à une galerie
d’élèves… Une grande bourgeoise comment dire
voooilà ma prise de raquette est parfaite… Deux
princes vietnamiens et alcoolisés mélangeant
tennis et baseball… Un chapelet de joueurs (et
joueuses) : certains monomaniaques, d’autres
pervers et retors… notre éducateur pourtant
attentif et patient ne sera que très peu écouté
par ses hypothétiques disciples qui eux plus
qu’obnubilés par la balle, sembleront obsédés
par leur propre importance(et moins leur jeu.)
Pour
tout dire et au-dessus (car il y a un au-dessus) de
la chronique, des passions en marche et au-delà des
souvenirs… … il y a comme dans les précédents
livres de Grozdanovitch, un discours sous tendu. Une
question posée en permanence par notre anthropopithèque
à raquette. Cette question la voilà : quelle est
la raison qui pousse cette bonne vieille modernité
à nous embarrasser autant ? Le fait que bon le
point Y de la modernité ayant été dépassé, nous
voilà bien penauds devant les multiples rebonds
capricieux de celle-ci ! En littérature en peinture
nous pouvons contourner ce point Y par d’autres
coups plus ou moins droits… la nostalgie, la post
modernité goguenarde voir la froideur des concepts,
en économie et en « thésaurisation politique »
cela devient déjà plus dur… la mondialisation
est moderne ? l’alter est post ? Mais en sport ?
Grande question non ? ! La modernité par exemple au
tennis pointe son nez entre 1978 et 1980 on trouve
à cette époque des joueurs divers et variés avec
des styles différents (Borg, Connors, Mc Enroe,
Vilas…) puis petit à petit avec la vitesse, les
physiques de plus en plus performants, le jeu tend
à se simplifier vers l’efficacité la plus immédiate.
Ne compte plus que le rendement et les joueurs
jouent à peu de choses près de la même façon et
avec la même technique. Il n’y plus de différence
entre les gestes d’un amateur averti et ceux
d’un professionnel aguerri. Ce qui diffère entre
les deux et uniquement, ce sont les pourcentages. Là
où l’amateur réussi deux coups sur dix le
champion en réussi neuf ! Donc les mêmes gestes,
la même façon de monter sur la table de ping-pong
pour reprendre la mauvaise blague de Michel Colucci.
La triste efficacité a peut être une poésie
froide et cachée, mais les joueurs modernes ne
jouent que contre eux-mêmes, et ce faisant oublient
ce qui faisait le plaisir de l’échange, le lien
entre deux intelligences en mouvement ….
Grozdanovitch
toujours nostalgique et non dupe préfère de
beaucoup le vrai amateur aux professionnels
de la profession… l’esprit sportif plus que les
sports en eux-mêmes… l’esprit d’équipe
(belle pages sur cette abstraction flottante :
l’esprit d’équipe) et le goût pour les gestes
inutiles… toutes choses ayants désertées le
sport professionnel… et pas que le sport...
D’ailleurs
nous emboîteront sans embarras le pas de notre ami
sportif défroqué. Oui le monde n’est plus lui-même
qu’une somme d’individualité où la productivité
et le concret domine et où l’échange n’est
qu’une flegmatique façade virtuelle ! Oui la
vitesse elle-même ne vise plus que le rendement et
en dehors de toute fulgurance elle n’est plus
qu’une chose préfabriquée par une société qui
ne fait que se boucler sur sa propre efficacité
morne ! Et un peu moins isolés (car au moins deux)
nous regarderons un peu effrayés cette mutation de
l’homme (et du sportif) vers la machine efficace.
Ce dispositif mortifère que forme l’annihilation
volontaire de chaque être normé par ses objectifs
et non plus ses désirs.
Nb
- Le tamis de ma raquette vise toujours le point Y
de la modernité, un peu à gauche sur le mur non
loin des microfissures (le gel), mais le mur en
retour m’offre inlassablement une balle pleine de
nostalgie(1)
Gongorisme
: n.m. (1842, de Góngora, poète espagnol,
1561-1627). Didact. Préciosité, recherche dans le
style (abus des images, des métaphores, etc.).
Philippe
Louche
Date
de parution
: 9 mai 2007
Entretien
avec Denis Grozdanovitch
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