"Plus
tard, je pensais que je pourrais mourir à
n’importe quel moment, et que la mort fixerait
pareillement mes traits dans l’attitude que
j’avais. Ce n’est pas tant de la mort que je me
méfiais que de ses conséquences immédiates. Même
après l’avoir déserté, on garde quelque
responsabilité envers son corps, son apparence –
comme envers les femmes qu’on a quittées, au
moins le temps qu’elles mettent à nous oublier.
Je ne voulais pas faire les choses dont je ne
pouvais penser qu’elles correspondaient à une
grimace. Un visage immobile à quelque chance d’être
photogénique. Le dandysme consiste à se placer du
point de vue de la première femme de ménage qui découvrira
le cadavre…"
Je ne sais pas si ce livre est comme le prétend Philippe
Sollers dans une quatrième de couverture un peu
bravache un livre « génial »,, d’ailleurs le génie
en littérature me semble une chose assez aléatoire
voir un peu morte tant les massifs les plus divers
paraissent avoir été arpentés jusqu’à leur
plus hauts sommets et cela depuis un certain temps déjà
… Donc ne nous roulons pas dans le « génial »
et Sollers est trop malin pour ne pas oublier toutes
ces choses évidentes … ajoutons qu’il est l’éditeur
de la chose ce qui calme l’impartialité supposée
de notre ami au fume cigarette, nous parlerons donc
plutôt d’amitié post-mortem entre deux écrivains
ce qui ne manque pas de panache … Frédéric
Berthet est mort un jour de Noël comme Robert
Walser mais quand Walser était retrouvé après
une promenade fatale (fatalement volontaire ?) sous
un agrégat relatif de neige avec de la douceur sur
le visage, Frédéric Berthet lui était retrouvé
gisant dans son appartement parisien ouvert au vent
après un réveillon trop arrosé, vous auriez dû
lire le magnifique
papier de Philippe Lançon paru dans un Libération
d’il y a quelques semaines, papier qui formulait
tout ça beaucoup mieux que
moi
et était aussi une belle déclaration d’amitié
post mortem.
Mais
revenons au livre, plus précisément au livre qui
nous concerne ! Dans l’appartement de Frédéric
Berthet on a retrouvé une somme considérable d’écrits
épars, des débuts de romans, des prémisses
d’essais de nature diverses et une partie
autobiographique non négligeable, parmi toutes ces
choses entre manuscrits et tapuscrits on a notamment
retrouvé le journal d’un roman : « Trêve »
jamais publié comme oublié volontairement par son
auteur, c’est cette somme qui est aujourd’hui
publiée. On a donc affaire plutôt à un aréopage
aléatoire fait de bouts romanesques, d’aphorismes
souvent limpides et d’une partie journal intime
constamment déguisée tant elle semble communiquer
avec la partie romanesque par de très minces tuyaux
(la littérature c’est de la tuyauterie de
l’intime vers l’extime) Le livre dans sa
structure forcément morcelée rappelle assez
souvent le Journal de Kafka, mais là où
tout se complique plutôt un journal de Kafka
contaminé par l’ironie le détachement de Fitzgerald
par cette sorte de magie qui permet à la désinvolture
de frayer avec la profondeur tout en restant svelte «
Ah ! oui c’était cela. Il suffisait de se montrer
profond pour qu’aussitôt on veuille vous
enterrer. Son propre fossoyeur. » … Ecrits
à la charnière des années 80 tous ces fragments
gardent une trace persistante de l’époque idoine
: la fin du politique le retour à l’hédonisme nécessaire
à tout être constitué de vibrations (diverses ,
variées) vibrations si peu communes à l’ensemble
d’une humanité hypothétique formant société .
On découvre un Berthet quasi mondain parfois
bienheureusement superficiel, il sort beaucoup boit
énormément, semble amasser une somme considérable
de conquêtes féminines il pourrait être un double
lumineux d’Alain Pacadis que l’on croise
d’ailleurs au détour de deux trois pages ,
silhouette et symptôme définitif de l’inconséquence
supposée début eighties ,Jean Lorrain toutes ces
histoires fin de siècle : « Pacadis : une
toupie ronflante. Au palace, du haut de la galerie,
je la vois danser de loin. Pacadis et le tripier des
Halles – les rats » Il y dans « Journal de
Trêve » des jeunes filles merveilleuses et
solaires, une vision du sexe plus dans l’aérien
que l’organique, une sensualité jamais
rabat-joie, c’est aussi surtout et principalement
un livre hanté par le pressentiment d’une mort précoce
... Berthet ne se trompais pas … On pense souvent
au journal de Jean René Huguenin (même age,
même motifs, la punition viendra plus tard ) , on
pense aussi souvent aux Young Marble Giants que Frédéric
Berthet évoque au détour de deux trois pages ,
voilà même détachement profond, même époque , même
renoncement envers la pesanteur … les Young Marble
Giants étaient Fitzgéraldiens eux aussi, assurément
.
Philippe
Louche
Date de
parution : 19
octobre 2006
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