De Louise de Vilmorin, certains savent
qu’elle fut la fiancée de Saint-Exupéry
et la maîtresse de Malraux, d’autres
qu’elle a écrit quelques romans dont Madame de,
peu connaissent sa poésie. « Le Promeneur »
en publiant ce recueil permet de réparer cet oubli.
Illustré par Jean Hugo, publié en 1954, cet
ouvrage n’avait, en effet, jamais été réédité.
En 1970, un an après la mort de Louise de
Vilmorin, Malraux fit éditer Poèmes,
en « Poésie/Gallimard », mais ce
titre est , lui aussi, épuisé.
Dès la dédicace à Gaston Gallimard le ton
est donné : « Je méditerai. / Tu m’éditeras. »
Louise de Vilmorin joue avec l’alphabet et
les allitérations. Jeu parfois virtuose. Ainsi, le
poème qui donne son titre au recueil est composé
de lettres que l’on doit épeler : « G
AC ZE FET / LEBZIR / LRULDT » :
« J’ai assez aidé et fêté / et les
baisers d’hier / et les ruelles d’été. »
Seule licence, le “E” se prononce ici “é”.
Plus loin l’homophonie est à l’honneur :
« Autant descendre / Maîtresse / Au temps des
cendres. / Mais tresse,.. » Ce procédé, les
vers holorimes, cher à Alphonse Allais,
connaît des déclinaisons lorsque l’homophonie
est régie par un jeu sur le genre ou le pronom
personnel, dans la dédicace ou encore ici :
« Un amant cela ment. / Une amante se lamente. »
Ailleurs il s’agit de « Rébus »
reposant sur le seul changement de voyelles, de
“charades” sur le langage des fleurs, de
calligrammes, etc.
Si certains de ces jeux sont inventifs, il n’en
reste pas moins à la lecture une impression mitigée.
Bien souvent, le classicisme de Louise de
Vilmorin, grande admiratrice du XVIIème
siècle et de Madame de La Fayette, lui nuit
et nous ennuie. Les Calligrammes d’Apollinaire
sont bien plus novateurs que ceux qui nous sont
proposés ici. Ces vers réguliers ne sont
calligrammes que par l’artifice du dessin de Jean
Hugo. Certains des poèmes sont proches du plus
mauvais Aragon, celui du retour aux formes
classiques. Il ne suffit pas d’écrire en
alexandrins, en décasyllabes ou en octosyllabes
pour faire de la poésie. Et surtout, même lorsque
l’on cherche à se mouler dans des formes
classiques, il ne me semble pas que l’on puisse le
faire comme si le vers dans les années 1950 était
toujours le vers de Hugo, Victor celui-là.
Là, le fat bête désavoue L’Alphabet des
aveux. Réserve plutôt que désaveu. La
contrainte donne à certains poèmes une légèreté,
une vivacité, une inventivité, qui dans les autres
font cruellement défaut. Apprécier les « Douze
palindromes », certaines des « Fantaisies »,
s’en délecter même, bien sûr ! Mais,
lorsque les seules contraintes sont le mètre et la
strophe, je reste sur ma faim. On me dira que le poème
n’est pas que forme, contrainte, mais qu’il est
aussi métaphores, sentiments, etc. Admettons. Mais,
quoiqu’il en soit, ici, seule la contrainte permet
à Louise de Vilmorin de dépasser un certain
maniérisme, une certaine préciosité.
Une
dernière citation, pour la bonne bouche :
« Ré si do / Ré si la / Fa do / La mi la mi
/ Si mi ré fa ré » « Récit d’eau /
Récit las / Fado / L’âme, île amie, / S’y
mire effarée. »
Dominique
Fagnot
Date
de parution 25 novembre 2004
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