Il
faut une fois encore saluer le beau travail de défrichage
et de découverte de la part de Catherine
Guillebaud et de la maison d’éditions Arléa
qui propose chaque année quelques premiers romans
au format court dont les auteurs exercent le plus
souvent une autre activité. Anne Kanapitsas
n’échappe pas à la règle, puisqu’elle est
aussi institutrice. L’odeur de la menthe
est un roman sur la transition où l’héroïne
tente de changer de vie en devant se débattre avec
sa mémoire. Non pas qu’elle ait quelque chose à
se reprocher ou à dissimuler, mais elle vient en
quelque sorte de l’enfer pour arriver en ce
qu’elle pense être proche du paradis, lequel lui
laisse liberté et temps, donc se révèle le
vecteur idéal à la pensée vagabonde et à la résurgence
des souvenirs.
Lorsqu’elle arrive à Paris, Carole devient Agathe
pour son nouvel employeur : Augustin Vincz,
violoniste de renom, solitaire et revêche qui se présente
lui-même en ses termes à la jeune fille :
« Je vous préviens, si vous espérez une
histoire d’amour, vous pouvez repartir tout de
suite. Je suis misanthrope et mégalo ».
Chargée d’assurer le ménage, les courses
et la préparation de repas frugaux au musicien
secret, Agathe voit ainsi sa vie basculer du tout au
tout : en effet, jusqu’alors, la jeune femme
fut soignante dans une institution religieuse pour débiles
dirigée par Sœur Marthe au fin fond de la Lozère,
entourée uniquement de femmes dans l’exercice de
tâches ingrates et épuisantes, comme elle le
confesse : « Les débiles nous répugnaient
parfois jusqu’à l’horreur. ». Elle se
lie d’amitié avec la douce Marie dont elle admire
« son intelligence, sa patience, son
endurance et sa personnalité. ». Marie
qui est porteuse d’une tragédie personnelle :
son fils Rémi était mort il y a quatre ans et elle
avait choisi la réclusion de l’institution ne
pouvant se consoler de ce malheur. C’est elle qui
a convaincu Agathe de quitter l’endroit et de
tenter un nouveau départ loin de cette tristesse et
de cette désolation.
Composé de vingt-neuf courts chapitres, le livre se
déploie en une imbrication permanente entre
nouvelle vie de presque dilettante et évocation de
la vie d’antan. Ressurgit entre autres le fantôme
de Léandre, un jeune garçon sans bras ni jambes
dont Agathe jura de « s’occuper comme
s’il était un fils de roi ». Elle
parviendra à apaiser la peur de l’abandon et les
terribles rugissements du pauvre enfant par la
diffusion de musiques et la senteur de l’odeur
de la menthe. La mort à la fois prévisible et
soudaine de Léandre contribuera à la décision
d’Agathe à quitter l’institution.
Son
séjour à Paris lui permet de rencontrer la mère
de Léandre et de mieux saisir la genèse de son
histoire. Cette révélation complétée des dernières
mauvaises nouvelles en provenance de Lozère ancrent
la jeune femme dans sa décision d’une nouvelle
voie.
Le premier roman d’Anne Kanapitsas est
empli d’émotion et de force. Il parvient aussi à
faire du silence et de la solitude dont Agathe se
pare dans son exil parisien des moyens de rédemption
et de sérénité.
Patrick
Braganti
Date de
parution : 24/9/2004
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