Malgré son titre qui rappelle un
fameux antécédent, nous ne sommes pas ici dans une
nouvelle variation sur un des épisodes de la vie de
Jésus, mais bien au contraire plongés dans une
Angleterre souvent paradoxale et contradictoire au
milieu des années 70, à l’époque des premiers
chocs pétroliers.
Même s’il
n’est donc pas question à proprement parler de
religion, néanmoins il existe dans ce premier roman
un côté surnaturel, un peu étrange, parfois féerique
qui lorgne vers le conte ou la légende.
L’histoire à multiples personnages et situations
diverses tourne autour de deux individus :
d’une part, Mary George, adolescente pas très
bien dans sa peau, vivant seul avec sa mère Stella
et d’autre part, Tom Hepple, qui revient à la
bourgade après un séjour en asile psychiatrique
consécutif à la disparition de sa mère Iris et à
l’engloutissement de leur maison sous les eaux. Le
nœud du livre réside en fait dans le lien ténu et
peu à peu mis à jour qui unit Mary et Tom. En
effet Matthew le père de celle-ci fut recueilli et
élevé par Iris aux côtés de Tom et Christie, son
frère jumeau. Matthew devint rapidement le préféré
et c’est lui en tant qu’architecte qui mènera
à bien le projet du barrage et la montée des eaux
responsable de la disparition de la vieille maison
d’ Iris. Le retour de Tom coïncide avec une
rencontre fortuite avec Mary, perchée sur un arbre
comme marchant au-dessus de l’eau. Celui-ci y voit
comme un signe et fait de la jeune fille une sorte
d’ange gardien rédempteur.
Le grand intérêt
de ce livre est de ne pas limiter l’intrigue au
seul développement de la relation chaotique et étrange
entre Mary et Tom. D’ailleurs, de loin en loin,
elle finit presque par devenir anecdotique ou
accessoire. Lavinia Greenlaw étoffe
brillamment son roman avec d’autres histoires,
dont la vie quotidienne de Mary, avec sa mère
Stella, ses amis au lycée et ses premiers émois
amoureux. Dès lors, tournent autour de
l’adolescente une kyrielle de personnages
secondaires que l’auteur ne se contente pas
d’esquisser mais au contraire rend palpables et
attachants. Cela donne au roman une incroyable
densité et variété, qui nous ballade dans des
univers différents : salon de coiffure, soirée
dans une piscine désaffectée, concerts... Et
toujours décrits avec infiniment de détails tant
au niveau des lieux que des identités
psychologiques des protagonistes. On sent là un
vrai travail, une connaissance prégnante de cette
Angleterre des années 70 qui apparaît souvent
contrastée : pas bien loin de Londres et ses
tapageurs courants (musicaux, entre autres), nous
sommes cependant en pleine campagne avec son lot de
superstitions et naïvetés séduisantes et
l’histoire en serait presque intemporelle si ce
n’était les nombreux détails (vêtements,
musique) qui la peuplent.
J’ai
rarement vu un premier roman aussi abouti et maîtrisé,
qui tient à la fois d’une chronique sociale et
d’un conte fantasmagorique, presque irréel. Tout
au long de ces 300 pages, l’auteur nous emporte
bien loin grâce aux caractères insolites et fouillés
de ses personnages dans un savant puzzle qui nous
propulse à des moments et des endroits différents.
On n’est pas étonnés dès lors que Quand Mary
marcha sur l’eau ait reçu le prix du meilleur
livre étranger en 2003.
Patrick
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