Que
Jonathan Ames se rassure ! Point besoin
d’admonestation à son lecteur sous forme d’un
ordre matutinal de réveil immédiat – Réveillez-vous
Monsieur ! est tout à la fois le titre du
roman, sa première et sa dernière phrase – pour
le tenir assidu et le rendre mordu. Le plaisir à
suivre les tribulations de Alan Blair est de toute
évidence jouissif, revigorant et source d’une
inextinguible envie de rire aux éclats. Il faut
dire que Alan Blair est un sacré phénomène qui,
contrairement à ce que pourrait laisser augurer son
patrimoine, manque d’intuition et de…nez, même
si cet appendice réveille en lui une libido névrosée.
Il n’a pas son pareil pour se fourrer dans les
pires pétrins, secondé et souvent sauvé par un
valet de chambre flegmatique et plein de bon sens répondant
au nom de…Jeeves. Un nom qui devrait évoquer à
beaucoup les romans policiers de P.G. Wodehouse,
considéré par Jonathan Ames comme « le
plus grand auteur comique britannique du vingtième
siècle ».
Alan
Blair est donc un écrivain raté, auteur d’un
seul bouquin, à la personnalité troublée par différents
problèmes d’ordre mental, émotionnel, sexuel et
spirituel qu’il tente d’oublier dans une
consommation frénétique d’alcool. Taraudé par
la Question Homosexuelle, puis Juive, maladroit auprès
des femmes, il est pour l’heure à sa sortie
d’une cure de désintoxication réfugié chez son
oncle Irwin et sa tante Florence. Grâce à un
confortable chèque de 250 000 dollars, prime
d’assurance tombée du ciel suite à un chute sur
le verglas, Alan Blair décide de s’offrir le
service d’un majordome stylé et discret avec
lequel il fuit la maison familiale pour un voyage
devant les mener à Fondation Rose, une résidence
d’artistes qui tient plus de l’asile d’aliénés.
Avant d’arriver à bon port, au volant d’une
antique Caprice, véhicule antique et majestueux,
l’écrivain déprimé et le serviteur stoïque
font escale à Sharon Springs, station thermale réservée
à la communauté hassidique. Ils doivent la quitter
précipitamment, Alan Blair s’étant fait tabasser
par un mari ayant peu apprécie le rendez-vous
grivois et nocturne donné à sa femme par le biais
d’un numéro de téléphone relevé dans les
toilettes publiques.
Ce
genre de mésaventure désopilante et foldingue est
à l’image de tout le livre qui cultive avec espièglerie
l’esprit d’escalier, tout en manipulant avec
maestria le plus juif des humours. Le séjour à
Saratoga Springs, là où se trouve le manoir dirigé
par le Dr Hibben, abritant l’éclectique
fondation, ne manquera pas lui aussi de piquant et
de rebondissements en tous genres. Chaperonné par
deux écrivains Mangrove – qui soigne sa dépression
en portant en permanence un bandeau sur l’œil -
et Pissett, complexé par ses éjaculations de
traviole, Alan Blair tombe amoureux de Ava, ou plus
précisément de l’organe nasal de celle-ci.
Autant dire que l’amourette n’aura rien de calme
ni de conventionnel.
Entrecoupé
des conversations philosophiques et métaphysiques
entre Alan Blair et Jeeves, Réveillez-vous
Monsieur ! est un roman qui cabriole,
virevolte, trébuche et rebondit sans cesse comme
son héros hypocondriaque et égocentriste,
alcoolique déprimé et obsédé sexuel chronique.
Avec son septième roman, dont les titres de
chapitre sont de véritables petits textes
explicatifs, Jonathan Ames, par ailleurs
acteur et animateur télé de talk-shows, signe un
bouquin pétillant et décoiffant, délice absolu
pour nos zygomatiques. Malgré le clin d’œil et
l’hommage à la littérature anglaise du temps
passé, Réveillez-vous Monsieur ! est
aussi ancré dans le contemporain, interrogeant en
douce la recherche de l’identité, y compris
sexuelle, se transformant peu à peu en une apologie
non-conformiste de toutes les désorientations
comportementales.
A
coup sûr, le roman le plus euphorique et le plus
excentrique de ces derniers mois avec sa ribambelle
de personnages brindezingues dont la lecture vous
fera un bien fou.
Patrick
Braganti
Date
de parution :
Septembre 2006
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