La
déception ressentie à la lecture de Tout
sera comme avant - pendant littéraire de
l’album éponyme de Dominique A – est à
la hauteur de l’attente suscitée. C’est dire
qu’elle est immense. L’hôte donne
l’impression d’être un ami de longue date, on
se réjouit de retrouver les connaissances communes
qu’il a invitées, on attend avec confiance de découvrir
les richesses des autres convives… Mais voilà :
la rencontre languit, les conversations se croisent
sans vraiment se rencontrer, et on referme le
recueil dans l’incompréhension triste du
rendez-vous manqué. Le propos s’annonçait
pourtant séduisant. Reprenant l’idée de
l’ardoise – empruntée à Philippe Djian
qui n’est d’ailleurs curieusement pas cité – Dominique
A explique dans sa préface : Dans
romans et nouvelles, j’ai pioché, toujours plus,
des phrases, des thèmes, pour mettre mes chansons
sur les rails. Ce recueil se présente
alors comme une reconnaissance de dette :
quinze auteurs français se sont vus attribuer le
titre d’une chanson de l’album – sans écoute
préalable – comme déclencheur d’une nouvelle.
Le principe peut sans doute fonctionner avec des
titres tels que Revenir
au monde ou Elle
parle à des gens qui ne sont pas là, mais des
thèmes aussi ouverts que Les
clés, Mira
ou La retraite
à Miami ne sont que des prétextes à écriture
dont on voit mal comment ils pourraient réunir les
univers de la chanson et de la littérature. Le
projet aurait eu une toute autre pertinence si les
auteurs avaient pu écouter les titres finis avant
d’écrire. Dans une récente rencontre, Dominique
Fabre, le premier auteur du recueil, avouait ne
connaître qu’un album de Dominique A et écouter
avec une égale jubilation Bashung et Starmania !
S’il est évident que les œuvres d’Olivier
Adam ou de Jérôme Lambert sont
fondamentalement liées aux chansons de Dominique
A et de quelques autres, on peut se demander si
c’est réellement le cas pour la plupart des
contributeurs. Il y avait pourtant enjeu.
Murat
et Harrison, Bashung et Desnos,
Miossec et Perros, Burger et Cadiot,
Tanger et Manuel Joseph, Teyssot-Gay
et Hyvernaud… Voilà quelques années que
littérature et chanson se fécondent naturellement,
sans souci de préséance, unies seulement dans la même
recherche du mot juste. La seule nouvelle du recueil
qui met explicitement en relation les deux formes
d’expression est celle d’Olivier Adam.
Elle est d’ailleurs l’une des plus réussies. Le
paradoxe est que si le jeune romancier, dont le récent
recueil Passer
l’hiver renvoie clairement à l’univers de Dominique
A, a réellement joué le jeu en s’inspirant
d’une chanson, il n’a pu partir de celle dont il
n’avait que le titre. C’est ainsi que son texte
fait référence à Lacanau,
une chanson du dernier album de Mendelson
qu’il écoutait en boucle au moment de l’écriture.
La fuite au plafond de l’appartement, le voisin,
la locataire du dessus retrouvée suicidée dans sa
baignoire… Les personnages, le ton comme
l’intrigue sont scrupuleusement fidèles au titre
écrit par Pascal Bouaziz qu’Olivier
Adam s’est approprié pour continuer à
explorer les thèmes de l’absence, du manque ou de
l’incompréhension qui sont les siens. La justesse
de ce texte est telle qu’on ne peut que regretter
qu’il soit quasiment le seul à tenter le pari de
la rencontre.
Il est vrai que Dominique A précise
d’entrée qu’il
n’était surtout pas motivé par l’idée de
souligner les liens improbables entre chanson et
littérature. Alors quoi ? Sur la
couverture, les noms des auteurs seulement désignés
par leurs initiales, comme s’ils avaient été
vampirisés par le A. de Dominique ; sur la
tranche apparaît seul le nom du chanteur ; à
l’intérieur, les textes manuscrits – chacun
aura bien compris que l’écriture manuscrite est
la plus sûre garantie de la haute teneur en qualité
littéraire d’un texte -
des chansons mis en rapport avec les
nouvelles ; aucune bibliographie des auteurs
recueillis comme c’est pourtant l’usage :
difficile de ne pas penser que ce recueil n’est
rien d’autre qu’une pièce apportée à la béatification
de Dominique A entreprise à l’occasion de
la parution du nouvel album via France Culture
et Bouffes du Nord, envolées de cordes et
autres collaborations avec Vincent Delerm. Ce
serait faire injure à l’honnêteté de
l’artiste – dont l’album est par ailleurs
magnifique – que de s’autoriser de telles
mauvaises pensées. Son goût réel et sûr pour la
littérature comme sa sincérité ne font aucun
doute.
Lisons donc les textes comme une sorte d’état
des lieux d’une forme de littérature telle
qu’elle s’écrit ici aujourd’hui faute d’un
vrai échange entre univers artistiques. Avec
son corps avec son corps ses mains son corps avec
son corps… Les premiers mots de la nouvelle de
Richard Morgiève sont éloquents : le
romancier génial du Petit
homme de dos s’abandonne à sa tendance à
l’écriture aussi automatique que vaine qui
n’impressionne plus guère que les critiques des Inrocks.
Sylvie Robic n’est pas en reste en mêlant
français et anglais dans un texte prétentieusement
déconstruit qu’on devine, on se demande pourquoi,
situé en Irlande du Nord. Arno Bertina –
dont on ne peut que recommander Le
dehors qui abordait avec grâce les trajectoires
de deux apatrides – laisse pantois avec les deux
voix inaudibles de son Fils
d’un enfant que des expressions telles que c’est le cri de l’iceberg qui se sépare ou ce quelque chose qui frappe à l’extérieur contre le bogue
suffisent à autodétruire. On n’entend pas non
plus la voix si singulière de Cloé Delaume
dans Où sont
les lions ? qui est pourtant une pochade
sarcastique assez réussie. Les textes besogneux de
Patrick Lerch qui mérite notre compassion pour
avoir hérité de L’inuktitut
ou d’Eric Pessan qui s’essaie à
l’humour dans La
retraite à Miami sont oubliés aussitôt
que lus. Fidèle à la banlieue de son enfance à
laquelle il ne cesse de revenir dans chacun de ses
ouvrages, Dominique Fabre se met en scène
dans un texte élégant, habité d’une nostalgie
sans complaisance. Le Bowling
de Brigitte Giraud renvoie lui aussi à
l’enfance. Un séjour dans les Vosges, les parents
qui se séparent. De la soirée au bowling comme métaphore
de l’enfant qui doit grandir contre son gré. Un
des bons textes du recueil comme le sont sans doute
aussi, sans qu’ils nous touchent nécessairement -
c’est la loi du genre - ceux de Jérôme
Lambert, Bruno Gibert, Sophie Tasma
et Béatrice Rateboeuf. Restent deux
magnifiques nouvelles. Celle d’Arnaud Cathrine
que le Revenir
au monde ne pouvait qu’inspirer tant ce thème
est à l’origine de son écriture : un
adolescent, Cody, passe un casting devant un
producteur de films pornographiques qui décide de
ne pas l’employer et lui offre la liberté. Une
intrigue très ténue, un texte presque entièrement
dialogué, mais une densité, une intensité, une
justesse qui foudroient. Hélène Lenoir propose une
autre rencontre : celle d’un
type qui se promène de nuit dans la ville et
d’une jeune fille Harriet. Il l’héberge, la
chasse, elle revient, ils se déchirent. Ils ne se
comprennent pas et sentent pourtant que leur
rencontre est déterminante, qu’elle ouvre en eux
des portes dont ils ne soupçonnaient pas
l’existence. Cette nouvelle, portée par une
musicalité jamais ostentatoire, a la densité
d’une chanson. Olivier Adam, Arnaud
Cathrine et Hélène Lenoir prouvent avec
éclat que le projet aurait pu être passionnant. Il
est hélas seulement sympathique.
JC
|