roman

Collectif - Tout sera comme avant  

Éditions verticales - 2004

 

   

    La déception ressentie à la lecture de  Tout sera comme avant  - pendant littéraire de l’album éponyme de Dominique A – est à la hauteur de l’attente suscitée. C’est dire qu’elle est immense. L’hôte donne l’impression d’être un ami de longue date, on se réjouit de retrouver les connaissances communes qu’il a invitées, on attend avec confiance de découvrir les richesses des autres convives… Mais voilà : la rencontre languit, les conversations se croisent sans vraiment se rencontrer, et on referme le recueil dans l’incompréhension triste du rendez-vous manqué. Le propos s’annonçait pourtant séduisant. Reprenant l’idée de l’ardoise – empruntée à Philippe Djian qui n’est d’ailleurs curieusement pas cité – Dominique A explique dans sa préface : Dans romans et nouvelles, j’ai pioché, toujours plus, des phrases, des thèmes, pour mettre mes chansons sur les rails.  Ce recueil se présente alors comme une reconnaissance de dette : quinze auteurs français se sont vus attribuer le titre d’une chanson de l’album – sans écoute préalable – comme déclencheur d’une nouvelle. Le principe peut sans doute fonctionner avec des titres tels que Revenir au monde ou Elle parle à des gens qui ne sont pas là, mais des thèmes aussi ouverts que Les clés, Mira ou La retraite à Miami ne sont que des prétextes à écriture dont on voit mal comment ils pourraient réunir les univers de la chanson et de la littérature. Le projet aurait eu une toute autre pertinence si les auteurs avaient pu écouter les titres finis avant d’écrire. Dans une récente rencontre, Dominique Fabre, le premier auteur du recueil, avouait ne connaître qu’un album de Dominique A et écouter avec une égale jubilation Bashung et Starmania ! S’il est évident que les œuvres d’Olivier Adam ou de Jérôme Lambert sont fondamentalement liées aux chansons de Dominique A et de quelques autres, on peut se demander si c’est réellement le cas pour la plupart des contributeurs. Il y avait pourtant enjeu.

 

    Murat et Harrison, Bashung et Desnos, Miossec et Perros, Burger et Cadiot, Tanger et Manuel Joseph, Teyssot-Gay et Hyvernaud… Voilà quelques années que littérature et chanson se fécondent naturellement, sans souci de préséance, unies seulement dans la même recherche du mot juste. La seule nouvelle du recueil qui met explicitement en relation les deux formes d’expression est celle d’Olivier Adam. Elle est d’ailleurs l’une des plus réussies. Le paradoxe est que si le jeune romancier, dont le récent recueil Passer l’hiver renvoie clairement à l’univers de Dominique A, a réellement joué le jeu en s’inspirant d’une chanson, il n’a pu partir de celle dont il n’avait que le titre. C’est ainsi que son texte fait référence à Lacanau, une chanson du dernier album de Mendelson qu’il écoutait en boucle au moment de l’écriture. La fuite au plafond de l’appartement, le voisin, la locataire du dessus retrouvée suicidée dans sa baignoire… Les personnages, le ton comme l’intrigue sont scrupuleusement fidèles au titre écrit par Pascal Bouaziz qu’Olivier Adam s’est approprié pour continuer à explorer les thèmes de l’absence, du manque ou de l’incompréhension qui sont les siens. La justesse de ce texte est telle qu’on ne peut que regretter qu’il soit quasiment le seul à tenter le pari de la rencontre.

 

    Il est vrai que Dominique A précise d’entrée qu’il n’était surtout pas motivé par l’idée de souligner les liens improbables entre chanson et littérature. Alors quoi ? Sur la couverture, les noms des auteurs seulement désignés par leurs initiales, comme s’ils avaient été vampirisés par le A. de Dominique ; sur la tranche apparaît seul le nom du chanteur ; à l’intérieur, les textes manuscrits – chacun aura bien compris que l’écriture manuscrite est la plus sûre garantie de la haute teneur en qualité littéraire d’un texte -  des chansons mis en rapport avec les nouvelles ; aucune bibliographie des auteurs recueillis comme c’est pourtant l’usage : difficile de ne pas penser que ce recueil n’est rien d’autre qu’une pièce apportée à la béatification de Dominique A entreprise à l’occasion de la parution du nouvel album via France Culture et Bouffes du Nord, envolées de cordes et autres collaborations avec Vincent Delerm. Ce serait faire injure à l’honnêteté de l’artiste – dont l’album est par ailleurs magnifique – que de s’autoriser de telles mauvaises pensées. Son goût réel et sûr pour la littérature comme sa sincérité ne font aucun doute.

 

    Lisons donc les textes comme une sorte d’état des lieux d’une forme de littérature telle qu’elle s’écrit ici aujourd’hui faute d’un vrai échange entre univers artistiques. Avec son corps avec son corps ses mains son corps avec son corps… Les premiers mots de la nouvelle de Richard Morgiève sont éloquents : le romancier génial du Petit homme de dos s’abandonne à sa tendance à l’écriture aussi automatique que vaine qui n’impressionne plus guère que les critiques des Inrocks. Sylvie Robic n’est pas en reste en mêlant français et anglais dans un texte prétentieusement déconstruit qu’on devine, on se demande pourquoi, situé en Irlande du Nord. Arno Bertina – dont on ne peut que recommander Le dehors qui abordait avec grâce les trajectoires de deux apatrides – laisse pantois avec les deux voix inaudibles de son Fils d’un enfant que des expressions telles que c’est le cri de l’iceberg qui se sépare ou ce quelque chose qui frappe à l’extérieur contre le bogue suffisent à autodétruire. On n’entend pas non plus la voix si singulière de Cloé Delaume dans Où sont les lions ? qui est pourtant une pochade sarcastique assez réussie. Les textes besogneux de Patrick Lerch qui mérite notre compassion pour avoir hérité de L’inuktitut ou d’Eric Pessan qui s’essaie à l’humour dans La retraite à Miami  sont oubliés aussitôt que lus. Fidèle à la banlieue de son enfance à laquelle il ne cesse de revenir dans chacun de ses ouvrages, Dominique Fabre se met en scène dans un texte élégant, habité d’une nostalgie sans complaisance. Le Bowling de Brigitte Giraud renvoie lui aussi à l’enfance. Un séjour dans les Vosges, les parents qui se séparent. De la soirée au bowling comme métaphore de l’enfant qui doit grandir contre son gré. Un des bons textes du recueil comme le sont sans doute aussi, sans qu’ils nous touchent nécessairement - c’est la loi du genre - ceux de Jérôme Lambert, Bruno Gibert, Sophie Tasma et Béatrice Rateboeuf. Restent deux magnifiques nouvelles. Celle d’Arnaud Cathrine que le Revenir au monde ne pouvait qu’inspirer tant ce thème est à l’origine de son écriture : un adolescent, Cody, passe un casting devant un producteur de films pornographiques qui décide de ne pas l’employer et lui offre la liberté. Une intrigue très ténue, un texte presque entièrement dialogué, mais une densité, une intensité, une justesse qui foudroient. Hélène Lenoir propose une autre rencontre : celle d’un type qui se promène de nuit dans la ville et d’une jeune fille Harriet. Il l’héberge, la chasse, elle revient, ils se déchirent. Ils ne se comprennent pas et sentent pourtant que leur rencontre est déterminante, qu’elle ouvre en eux des portes dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Cette nouvelle, portée par une musicalité jamais ostentatoire, a la densité d’une chanson. Olivier Adam, Arnaud Cathrine et Hélène Lenoir prouvent avec éclat que le projet aurait pu être passionnant. Il est hélas seulement sympathique.

 

JC