La
puissance de Chet Baker, ce son fragile
enrobant la matière musicale comme une caresse exténuée,
se nourrit d’abord d’une sur-sensibilité
qu’il faut bien faire tenir dans un corps humain,
trop humain. Camé comme pas deux, l’ange du
miracle blanc au cœur de l’immense royaume black,
va peu à peu, non pas détruire son corps mais lui
permettre au contraire de supporter ce que le
souffle dicte – dictature de l’esprit sur le coût
matérialiste. Victoire décisive qui, dans le grand
bain consumériste en plein décollage dès les
fifties, en fait une figure précieuse de
l’humanité en marche. Voir à ce sujet le visage
ravagé, bien loin de toute iconographie acceptable,
qu’il présente dans ses dernières années.
C’est
donc en terrain ultra miné qu’avance cet Eté
avec Chet, évocation appliquée de l’arrestation-inculpation
du trompettiste américain au cœur de l’été
italien 1960. Le problème de taille, inhérent à
ce genre de projet (sorte de biobook romancé),
s’impose d’emblée : ou comment tracer dans
la chair plus ou moins profonde d’une réalité
connue (voire célébrée) la voie médiane et
fictionnelle capable d’appréhender une certaine
part de vérité. Un travail de re-création qui
s’apparente au fond à la course au son que livre
tout musicien véritable ; la reprise tenue
d’un thème classique, exercice périlleux plein
de chausse-trappes que seule une posture toute en
humilité saura déjouer.
Massimo
Basile
et Gianluca Monastra n’ont justement pas
commis l’erreur fatale de vouloir écrire comme
Chet jouait, projet inabordable sauf à posséder
des qualités littéraires d’une force quasi équivalentes
à celles, musicales, de l’américain (on pense
par exemple à Nabe écrivant sur Billie
Holiday). L’ingéniosité douce de leur roman
tient pour une grande part à l’invention d’un
fil conducteur cadre principal (considérant Baker
hors cadre), se déployant au contact de Gino
Lamberti, journaliste florentin aux amours
difficiles, fou de foot et de cinéma, en qui la
puissance du Jazz va progressivement se révéler.
Et si Chet Baker apparaît à intervalles réguliers,
il reste d’abord, dans la trivialité de son
arrestation, une ombre gigantesque en suspension sur
le récit. Du flot de clichés qui se pressent au
long des pages, évitons donc les conclusions hâtives :
ce sont aussi des chemins obligés pour tenir le
coup d’une correspondance aux balises sur
lesquelles le roman s’est ancré, et dont une
liste finale de remerciements trace les pistes
(hommage à certains œuvres littéraires ou films
notamment).
Livre
modeste, d’un classicisme contemporain dans son
visuel affirmé, à l’ambition secrète :
capter fût-ce de loin quelques émanations du
souffle de Baker, l’impossible programme réserve
aussi quelques belles échappées.
Christophe Malléjac
Date de
parution : 2 février
2006
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