roman

Rick Moody - A la recherche du voile noir    

Éditions de l'olivier - 420p, 23€ - 2004

 

 

 

    A la fin de la préface de son dernier roman, Rick Moody délivre à ses lecteurs le conseil suivant : « Faites connaissance avec mon livre comme vous le feriez avec moi : en prenant le temps, avec hésitation, irritation, impatience, incertitude, pitié, générosité ».

Plus qu’une habile et ironique pirouette, il s’agit bel et bien d’une mise en garde justifiée que le lecteur dérouté ou perplexe devra conserver en mémoire. A quarante ans, l’âge par essence du basculement vers la seconde moitié de la vie supposée, Rick Moody écrit une autobiographie atypique et étonnante. Ce jeune auteur new-yorkais déjà prisé des critiques et des lecteurs qui ont réservé un accueil dithyrambique à Purple America (2000) puis à Démonologie (2002) et Tempête de glace (2003) est un rescapé de la vie qui a trouvé comme planche de salut l’écriture.

 

    Moody confesse avec une lucidité mordante et une envie flagrante de se torpiller lui-même les débuts de sa vie où l’alcool, la drogue et la fréquentation des hôpitaux psychiatriques ont longtemps tenu le premier rôle. Cantonner le livre à l’évocation même talentueuse de ses errements accompagnée d’une attaque toujours mordante de l’Amérique en voie de sabordage librement consenti serait réducteur. Le propos de Moody se veut plus large, plus universel et propose une réflexion sur la généalogie et la mémoire, à travers son propre exemple. De mémoire, il est ici question dans l’évocation symbolique d’un ancêtre de l’auteur, Joseph Moody, qui a décidé de se recouvrir à perpétuité le visage d’un voile noir après avoir commis un meurtre accidentel. Ce retrait du monde visible et le port du voile comme expiation seront à l’origine d’un conte écrit par Nathaniel Hawthorne, au dix-neuvième siècle, dont le roman reprend certains passages. Moody en apprenant cette ascendance n’a de cesse de repartir vers ses racines dans le Maine et de comprendre les motivations de la dissimulation volontaire de son aïeul.

Le voile intervient comme une métaphore de la dissimulation, laquelle d’après l’auteur est une partie intégrante de l’identité qu’elle permet de forger. Mais il est aussi le moyen sûr de cacher aux autres une faute, comme par exemple ce crime jamais puni du génocide indien auquel Moody se réfère régulièrement ( la communauté indienne est très présente dans le Maine). Le livre est ainsi composé d’une double biographie : celle de l’auteur et celle de son aîné qui se prête aux rapprochements et parallèles lourds de sens.

 

    C’est à partir de l’histoire de sa propre famille – donc d’un cas particulier – que le roman se déploie vers l’universel et le général. L’idée de faute qui nécessite(rait) repentance – le port du voile ici – parcourt l’ensemble de ce livre exigeant et novateur. A côté de la narration drôle et détaillée de sa vie, Moody parsème ses réflexions d’extraits des carnets de son aïeul Joseph, ainsi que du conte de Hawthorne.

 

    Dans ce livre polymorphe et difficilement qualifiable (« mémoires avec digressions » selon les propos de son auteur, essai ou roman ?), il est aussi question de mélancolie, de reconstruction de soi et de filiation.

Aujourd’hui membre influent et reconnu de la nouvelle école littéraire américaine, auprès de Franzen, Eugenides ou encore Foster Wallace, Rick Moody livre son ouvrage le plus abouti et le plus intelligent. Certes pas toujours facile, mais bougrement impressionnant et revigorant.

 

Patrick Braganti

 

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