Il y a d'abord ce petit extrait de "Possession" d'A.S. Byatt
qui indique : "Dans notre partie de la Bretagne
- la Cornouaille, l'Armorique - persiste la vieille
croyance celte selon laquelle la mort est simplement
un pas - un passage - entre deux stades de
l'existence humaine." Puis il suffit d'ouvrir
la porte et inutile de préciser que le lecteur se
sent aussitôt happé dans l'univers que va créer
la jeune Gaëlle Nohant ...
Son roman est une invitation précieuse et irréelle
dans un monde peuplé d'enfants, de cauchemars, de
fantômes, de morts. Cela se passe chez les Guérindel,
Enogat et Ewan ont quatre fils qui grandissent avec
l'interdiction formelle de s'approcher de la mer.
Dans ce pays de pêcheurs, il n'est pas facile de
faire accepter cette "différence". Les
enfants ne disent mot, ils consentent.
Ce sont des bons garnements, mais ils ont leurs mystères.
Chaque nuit, ils se réveillent en hurlant, pris au
piège de leurs rêves, qui sont autant de
cauchemars contre lesquels leur mère Enogat ne peut
combattre.
Mais les enfants n'expriment pas ce qui les
terrorise à ce point. Pourquoi Benoît suit cette
femme avec son enfant dans les bras, s'approcher de
la mer, bercer sa petite, et mettre des cailloux
dans ses poches ? Et pourquoi Lunaire se voit-il
embarqué sur un navire, accueilli par un beau
diable aux cheveux roux, au rire mauvais, lui
pointant du doigt une chose effroyable planquée
dans la cale ? Même Guinoux s'effondre, en classe
de dessin, à la vue d'un tableau représentant des
chevaux, avec du rouge, beaucoup trop de rouge...
Les garçons Guérindel sont murés dans leurs nuits
peuplées de ces cauchemars qui leur signifient
quelque chose, certainement. Mais ils se taisent, même
entre eux ils ne parlent pas, ils se regardent comme
des chiens fous, un peu sauvages, et poursuivent
leur bonhomme de chemin.
C'est Lunaire qui va conduire le lecteur dans un
tunnel où les lumières de la vérité éclairent
bien au loin la sortie. La traversée est rude,
esquintante, sujette à des sueurs froides, mais
guidée par la rencontre d'êtres exceptionnels,
comme cette nonagénaire, Ardélia, ou le
bienheureux Ebenezer (en hommage à Dickens...).
Il fait bon se caler dans un fauteuil au coin de la
cheminée, dans un salon qui sent bon le gâteau, où
l'on peut boire un verre de cidre et dévorer des
pommes de terre écrasées au beurre avec un goût
de noisette... Puis écouter les confidences de
cette femme remarquable, un peu énervée au début,
puis brûlante d'émotions et de blessures intimes.
C'est peut-être en fouillant le passé qu'on pourra
sortir les enfants Guérindel de leurs cauchemars épouvantables.
Qui sait ?
Alors, "L'ancre des rêves" serait-il un
roman d'un autre temps ? un roman bercé de légendes,
de mythes, de croyances celtes et de subconscient lié
au sommeil ? ... Oui, un peu tout ça. C'est avant
tout une ambiance, un monde merveilleux inventé par
l'auteur, avec tout le raffinement et l'érudition
qu'on lui connaît (cf. son Café Littéraire).
Cette lecture est une pause dans le quotidien
grouillant d'agitations, c'est une plongée vers les
abîmes, une nature impénétrable, et qui agit sur
le lecteur tel un pouvoir d'envoûtement, tout comme
les enfants qui glissent dans leur sommeil, lequel
exerce "une attirance vampirique".
Oui, les images fantastiques sont présentes, elles
apportent des pistes de lecture, ouvrent les vannes
pour savourer un débit différent de ce qu'on
imaginait... Estourbissant, captivant, saisissant
(et même insaisissable !), accrochez-vous à cette
"Ancre des rêves" ! Car de plus, c'est
beau. Tout simplement. Les étoiles, la mer, les fées,
les esprits enchanteurs, la branche du noyer qui
cogne contre la fenêtre... vous hésitez encore ?
Un dernier hommage : "Ardélia avait été la fée
mystérieuse qui vous enseigne les points faibles du
loup, les ruses tactiques pour traverser la forêt
et en ressortir plus fort".
Gaelle Nohant est une contemplative, une rêveuse.
Et le lecteur est tout acquis à sa cause !
Stéphanie
Verlingue
Date de
parution :
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