«
Mais je répugnais à me voir exporté, dupliqué,
je me considère comme un document original, unique,
alors que d’une façon générale les gens me
paraissent appartenir à une race aux exemplaires
aussi difficiles à distinguer les uns des autres
qu’un pigeon gris d’un autre pigeon gris. Il est
vrai que les femmes se différencient des hommes,
j’aime leur apparence, leurs organes. A mes yeux
elles se ressemblent toutes, comme des jumelles
monozygotes… »
Je
ne sais pas si j’aime ce livre… En fait je vois
trop dedans peut être ce que je n’aime pas et de
facto pas assez le reste. Je l’aimerais un peu
plus ce livre s’il était souillé par un peu plus
de sacré, s’il était moins cynique et
scintillant au milieu des décombres… S’il était
moins vice et stupre, fœtus brûlés et viscères
pourrissants au fond de peu folâtres cercueils !
Ces organes qui ne seraient rien si ce n’est que
de l’organique au service de rien, ! Noir néant où
l’humain ne serait pas plus que pas grand chose,
alors que bon vous voyez bien vous qu’aimer les
corps reste une chose essentielle ! Qu’aimer ce
qui les fait fonctionner ces corps (les divers
combustibles, les organes, les souvenirs) est une
chose déterminante ! Et vous savez bien vous
intuitivement que ce qui s’échappe de tout ça
est essentiel (ou presque) ! L’émanation nécessaire
des âmes, même quand le corps est retourné comme
un gant, viscères et âme mêlés, l’amour…
Jauffret
donc virevolte autour de ces questions… Jauffret
est un drôle d’acrobate… mais un acrobate qui
pirouette un peu trop avec les réponses du terrible
fil-de-fériste roumain Cioran. Pour résumer à
gros traits : il n’y pas grand chose à sauver
nous ne sommes que le morne résultat d’un
improbable accident aléatoire et l’humanité
n’est qu’une mésaventure passagère ! Cioran étant
un douteux doutant, on aurait aimé les réponses
plus fluides de l ‘équilibriste Antonin
Artaud et celles indéniablement plus
coagulées de ce cher Georges Bataille,
de l’humain oui voilà bref quoi, même tordu,
calciné du restant de cogito, mais de l’humain !
Avec moins de distance et de détachement sardonique
face à ce que nous sommes car nous sommes bien là,
d’ailleurs je viens de me pincer et ça pince
vraiment !
Pourtant
accordons à Regis Jauffret le fait d’être
très bon lorsqu’il se laisse entraîner, lorsque
le flux de ses phrases prend la mesure de son
cynisme, quand il bascule (l’acrobate chute) dans
une sorte de burlesque simili post-beckettien
(automatique sur de l’animé) où il y a du vomi
dans l’autocuiseur, et où on retrouve l’humain,
loin des seins tombant d’une sexagénaire fatiguée
vus de haut et sans la perspective historique.
Sinon
pour le “factuel” le livre est une curieuse et
drôle autofiction filtré par du tordu … une
rupture amoureuse, le beau-père, la belle-mère,
tout ça, noir et cocasse faisant avec la folie et même
avec des objets qui se révoltent.
Philippe
Louche
Date
de parution en poche : février
2007
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