Dans un futur proche, en 2006, le marché de l’art
a décidé de mettre en exergue « l’art
hyperdramatique » qui consiste à utiliser le
corps humain comme toile ; les artistes,
convaincus dans leur mégalomanie de faire de la vie
de l’art et vice-versa, manipulent les modèles
jusqu’à les transformer en pantins aux chairs
anonymes et vidées d’émotions. Malgré cela,
Clara, jeune modèle espagnole, est fascinée par ce
qu’elle voit avant tout comme une mise en lumière,
et rêve d’être peinte par Bruno Van Tysh, le précurseur
de ce courant. Mais la frontière qui sépare le génie
de l’horreur n’est pas loin, le jour où l’une
des œuvres humaines est détruite et massacrée
dans un nouveau rite « artistique »…
José
Carlos Somoza,
cubain exilé à Madrid, a quitté son métier
initial de psychiatre-psychanalyste, pour
s’adonner exclusivement à l’écriture pour
notre plus grand bonheur. Et après « la
caverne des idées » parue en 2002 (polar
néo-platonicien échappant à tous les genres), il
nous livre avec « Clara et la
pénombre » un autre thriller métaphysique
inquiétant, mâtiné de réflexions sur la beauté,
l’éphémère et le prix de la vie.
Dans cette histoire que n’aurait pas renié un Lynch,
Somoza s’intéresse aux mises en abymes qui
fascinent et effraient, mélange ambiguë de lumière
et de clair-obscur – et s’interroge sur les dérives
de l’art, et de notre société qui veut tout
montrer, fascinée qu’elle est par la jeunesse et
la beauté, et où l’exhibitionnisme est paré de
toutes les vertus… On pense inévitablement à des
artistes comme Orban, ou encore Sophie
Calle, qui ont choisi de se mettre elles-mêmes
en scène, et ce, depuis des années, mais on pense
aussi à la Télé-réalité… Et c’est bien
toute la qualité d’un écrivain contemporain
futuriste que d’arriver par la fiction à
retranscrire des idées qui nous touchent pourtant
de près au présent.
L’écriture limpide, et parfois compulsive de Somoza,
qui laisse libre court à de multiples interprétations,
colle parfaitement au sujet ; à l’instar
d’un Jauffret, on a parfois l’impression
que les mots se diluent pour mieux laisser parler
l’absurdité des vies et la dilution des
existences. L’envers du décor fascine, et
pourtant la frontière entre la démarche artistique
et l’imposture est mince. Par l’intermédiaire
de Clara, on comprend aussi qu’on peut être
d’autant plus attiré par la clarté et la
transparence qu’il y a quelque chose en soi qui
n’y croit pas, mais qu’on refuse de voir. Avec Somoza,
écrivain trop lucide, il n’est de toute façon
d’expression que fragmentaire, partielle… et
toute lumière cache son ombre… Qu’est-ce qui
est réalité, qu’est-ce qui est illusion, tout
cela n’est-il pas un jeu de dupes et de miroirs,
dont l’art sait mieux que quiconque extraire les
reflets ?! Mais comme le dit le personnage du
livre lui-même, « toute vérité est dans
la pénombre ». Alors forcément, ce livre
inclassable laisse planer plus de questions que de réponses,
et on n’ira d’ailleurs pas s’en plaindre.
Cathie
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