Un peu plus de 150 pages sans chapitre,
sans paragraphes comme une sorte de long jet continu :
voici la forme le premier récit de Oliver Rohé,
journaliste de 30 ans à Chronic’Art. A quoi, pour
qualifier le style, il faut rajouter une succession
de phrases plutôt longues, fonctionnant sur le système
du marabout bout
de ficelles. Car ici nous avons affaire à une réflexion
continue, qui marche beaucoup par des associations
d’idées. Réflexion menée par Selber, lors
d’un voyage en avion qui le ramène vers son pays
d’origine quitté il y a bien longtemps et vers
Roman, son ami, son double. Roman, prénom sans
doute pas fortuit, à la double prononciation
possible, soit slave, ce qui placerait le pays en
question vers l’Europe Centrale, soit française,
qualifiant peut-être ce texte.
Selber nous livre ses pensées bien
noires en un flux ininterrompu où se mêle de plus
en plus le souvenir de Roman. Il y est question du
refus de la patrie, de la guerre, des relations
castratrices entre mère et fils, de l’enfermement
et de la maladie. Règne derrière cette noirceur
avouée l’idée même de l’oubli, de la fuite
identitaire et par-dessus tout la dilution et la dépersonnalisation
de l’individu. Une fuite qui passe par
l’identification empathique aux objets, aux amis
et enfin à la langue étrangère, ici le français.
L’idée maîtresse devient donc la nécessité de
se défaire de tout ce qui a trait à ses propres
origines : sa famille, sa langue maternelle et
son pays. Une sorte de mémoire vécue comme un
poids et un obstacle à avancer, mémoire à évacuer
coûte que coûte. Le titre Défaut d’origine
revêt une double signification : origine au
sens des racines, de la naissance puis au sens de
l’original, puisque le propos même du livre a déjà
servi de support à Thomas Bernhard pour son
livre L’Origne. Boucle bouclée dans une
vertigineuse mise en abyme.
Au fur et à mesure, les parcours de Selber et Roman ne
semblent plus faire qu’un, avec l’emploi du
« je » et du « il » qui sèment
le trouble chez le lecteur.
Ce n’est pas un livre trop facile, qui mérite une
lecture attentive. Cependant le style très écrit
qui regorge d’adverbes, de répétitions n’est
aucunement un obstacle pour pénétrer dans le
cerveau de Selber et l’accompagner dans ses pensées
nostalgiques, noires et désillusionnées.
Patrick
Editions Allia
16 rue Charlemagne
75004 Paris
Tél : 01 42 72 77 25
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