La Harpe Irlandaise
Médiocre entrée en matière, un peu longue aussi, avec la confrontation des caractères très distincts des deux actrices de "La Harpe Irlandaise" : Laura et Flore sont cousines par alliance, l'une veuve, émotive et rondouillarde, l'autre célibataire, exigeante et austère. Elles arrivent en voiture passer l'été dans la demeure de campagne de Laura, lorsque survient une panne d'essence. En attendant la réparation, Laura décide de cueillir dans un pré un bouquet de trèfles incarnat quand elle aperçoit le "fantôme" de son défunt mari Edmond. Il lui faudra du temps pour comprendre qu'il s'agit là d'un premier signe d'une longue série pour résoudre une "injustice" passée. Au cours d'une balade, Laura va aussi faire la découverte d'une maison abandonnée, autrefois splendide, qui est à vendre à un prix faramineux, malgré son délabrement. Laura et Flore n'étant jamais d'accord, notamment sur cette maison, elles décident de s'éloigner et mener leurs vacances chacune à sa façon. De son côté, Laura sombre dans une fumeuse mélancolie dont seul le désir de "savoir", suivant son instinct, lui permettra de gagner en autonomie et épanouissement.
Basée sur le principe d'apparitions de fantômes et d'esprits frappeurs, l'histoire de "la harpe irlandaise" se dévoile comme une étonnante intrigue "policière" (mais sans policier ni cadavre) où l'ombre d'une maison abandonnée appelle vengeance et investigation. Publié en 1941, ce roman appartient au cycle "des maisons, des mystères" - deux sujets imbriqués selon Germaine Beaumont, passionnée. C'est un roman du début du siècle à travers sa mise en scène (les maisons d'été, la bonne société, les demoiselles de compagnie, des femmes seules, marquées par la vie, un rien excentriques...) mais rien n'est dépassé ni flétri. La façon d'introduire un sentiment de mystère, d'inquiétude et de doute est parfaitement
maîtrisée par l'auteur, voir carrément ingénieuse. Roman indémodable, en somme ! Où l'on privilégie l'action lente, mais tracassante... (300 pages)
Les Clefs
Ce roman publié en 1940 pour ouvrir le fameux cycle "des maisons, des mystères" est très honnêtement un exercice réussi haut la main par Germaine Beaumont dans un domaine assez nouveau pour l'époque, celui des romans à énigmes, mais sans meurtre, sans cadavre ni détective ou policier. Cela commence par la vente d'une maison qui appartient à la famille Clauvel depuis des générations. Une étrangère - Frédérique Marshall - arrive et l'achète rubis sur l'ongle. On spécule, on jase, on colporte.. ainsi va le vent dans les petites contrées où Frédérique espère y trouver une certaine paix. La famille Clauvel se pose aussi des questions, entre la vieille mère, veuve depuis dix ans, le fils Léon, marié à Célina, et la dernière fille, Agnès, perfide et aigrie dans l'âme. Mais chacun garde pour soi ses réflexions, entre eux tout n'est que persiflages et volonté de rabaisser le plus faible (comme la
belle-sœur ou la jeune domestique, Marie).
C'est d'ailleurs la façon de glisser d'un caractère à l'autre qui m'a particulièrement plu : Germaine Beaumont fait ici montre de la grande influence sur son travail de la littérature anglaise qu'elle affectionnait (les
sœurs Brontë, V. Woolf..). Elle crée ainsi un climat malsain et obscur, laissant deviner des secrets de famille et des passés mystérieux qui intriguent bien volontiers le lecteur ! Tout vient à point à qui sait attendre... Germaine Beaumont donne ainsi l'impression d'avoir brodé son roman avec dextérité, donnant libre cours à la jouissance d'épingler les vilenies des bourgeois (pingres, retors et sadiques) et la trop grande facilité aux colportages. J'ai beaucoup aimé, notamment les passages avec Agnès Clauvel, et j'avoue avoir plus apprécié l'ingénuité de la construction et de l'ambiance noire au détriment du dénouement ! De plus, en comparaison à La Harpe Irlandaise, la place de la maison dans Les Clefs prend un aspect moins focalisant, car ici la psychologie des personnages est primordiale et déterminante. Un roman grisant, malgré toute son opacité...
Agnès de rien
Dernier roman qui boucle le thème "des maisons, des mystères", "Agnès de Rien" a été publié en 1943 dans le même genre angoissant et occulte. Agnès débarque dans le domaine de son mari, sertie d'une mission spéciale : récupérer de l'argent en faisant pitié par son aspect naturel (blonde, fragile, frêle, maladive). Francis est un artiste désargenté, fâché avec les siens, en envoyant Agnès, en fait abusée dans l'affaire, il souhaite récupérer une part de son héritage. Aux Fonds de Laume, chez les Chaligny, derrière son aspect "maison datant des calèches et des jupes à pouf" , l'atmosphère est glauque et séculaire. Agnès est violemment accueillie par Carlo, taciturne et grognon, son beau-frère marié à Alix, cordiale et bienveillante, mais en façade uniquement. Agnès n'est pas dupe des fausses mièvreries, des traits forcés pour soulager son séjour, tout en voilant le fond du problème (la querelle de Francis avec sa famille, le refus de Mme de Chaligny de recevoir Agnès, le caractère sombre de Carlo, etc.).
"Agnès de Rien" est différent des premiers romans qui composent ce livre, tout en offrant également un côté opaque, étouffant et gothique, d'où l'on reconnaît la forte fréquentation des romans anglais (Dickens est d'ailleurs cité dans l'histoire). Il y a forcément quelques secrets de famille, des cadavres dans le placard... Mais il y a surtout une forte description d'une aura autour de ce lieu isolé qui imprègne ses êtres. Encore une fois, une famille bourgeoise passe sous la loupe contre une jeune héroïne seule au monde, vulnérable et impressionnable. J'ai de nouveau beaucoup aimé, y trouvant toute une ambivalence captivante, des personnages intrigants et servis par des dialogues pointus. Agnès est le genre d'héroïne qu'auraient affectionné les
sœurs Brontë !... C'est à souhaiter que d'autres romans de Germaine Beaumont seront à nouveau republiés, c'était véritablement une maîtresse dans le genre "policier poétique et brumeux". A découvrir.
Stéphanie
Verlingue
Date de
parution : 2 février 2006
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