"Et
puis il est mort brutalement. Mon portable a sonné
sur la terrasse il y a deux ans, nous avons dû
rentrer à Paris précipitamment."
Il suffit
parfois de deux phrases. Deux phrases qui n’ont
qu’une importance secondaire dans l’intrigue
mais voilà. Leur laconisme, leur perfection qui
rappelle les ellipses de Richard Brautigan font
qu’on les a élues, fort de la subjectivité
imprescriptible du lecteur. Deux phrases comme la métonymie
d’un roman dont le charme entêtant tient beaucoup
à cette écriture sans fioriture, tenue, qui permet
de se jouer des ornières dans lesquelles une telle
intrigue eut vite fait de verser. Juliette vit à
Paris avec Eric (que l’on suppose être écrivain)
et leur fille Manon, un nourrisson à peine sevré.
C’est la fin de l’hiver et elle décide de
prendre la fuite. Sans un mot, sans un cri, elle
prend le train et sa fille pour gagner la maison de
son enfance. Elle doit se retrouver seule face à la
mer. Pour se calmer, prendre du recul, se réconcilier
avec ce corps encore marqué par la maternité. « Etre
ici me suffit, me remplit, remplit le vide, le
manque d’eau de sel de lumière. Je respire à
nouveau. Il y a la lumière de l’eau de l’air.
Du ciel de la mer. Je ferme les yeux . »
Vertige
de se rendre compte que la vie est possible sans
l’autre. Ivresse de l’amour maternel, que Karine
Reysset excelle à faire partager sans jamais
sombrer dans la niaiserie larmoyante. Comme dans L’inattendue,
son roman précédent qui relatait une grossesse, la
relation fusionnelle qui lit la narratrice à
l’enfant est évoquée avec une confondante
justesse. « Je
lui embrasse les cheveux, leur parfum de mûre
sauvage et de caramel un peu salé (les larmes sans
doute). Elle se calme. » Et
puis il y a Sarah, cette irlandaise fascinante qui
voyage au gré de ses envies. Juliette ne sait pas
si elle l’aime ou non et se pose d’ailleurs à
peine la question. Mais elle est attirée par sa
liberté, par son corps magnifique (une relation
homosexuelle s’ébauche entre les deux jeunes
femmes), par la confiance qu’elle lui redonne. La
vie de Juliette semblait déjà vécue : un
compagnon, un enfant, un métier, des réponses pour
chaque moment… L’impulsion qui l’a fait fuir
lui a donné un élan que Sarah entretient. Les deux
femmes vont faire un bout de chemin ensemble, « juste
faire un bout de chemin ». Sans autre
projet que celui de suivre la mer. Le livre s’achève
sur des vers de Bashung : « A l’avenir, laisser le vent du soir décider. Laisser venir
l’imprudence ». Avec sa discrétion, son
refus de l’hystérie des grands gestes comme des
paroles définitives, En
douce est une invitation têtue à la liberté.
Jean-Christophe
Planche
Plus+
extraits
du livre et biographie de Karine Reysset
|