roman

Leslie Kaplan - Fever

Éditions POL  - 192p, 15€ - 2005

 

 

 

    Tout commence par un meurtre, meurtre gratuit qui n’est pas sans rappeler celui des Caves du Vatican de Gide. Pierre et Damien, deux adolescents de bonne famille décident de réaliser le crime parfait car sans mobile. Autour de ces deux “héros” et des tourments, des cauchemars qui les harcèlent après cet acte, Leslie Kaplan va tisser une parabole sur l’Histoire, le crime et le châtiment. Alors que chez Dostoïevski, la rédemption venait par la foi, ici c’est par la prise de conscience du destin de leurs grands-pères respectifs qu’elle s’effectuera. Les deux grands-pères, l’un juif muré dans son silence depuis les camps, l’autre, fonctionnaire français ayant obéi aux ordres, sont le prétexte à revisiter l’affaire Papon et le livre de Arendt sur le procès Eichmann. D’ailleurs, tout dans ce livre sent le prétexte et le trait appuyé. C’est la philosophie qu’ils viennent de découvrir en terminale qui mènent ces deux adolescents au crime, et c’est elle encore qui au travers de l’œuvre de Arendt les “sauvent”. Et nous voilà parti dans quelques passages décrivant les cours de leur professeur, surnommée Alice. Caricaturaux, ces cours qui se résument à des débats-discussions où règnent à la fois l’absolue liberté de parole et le moralisme bon teint. Caricatural aussi, le débat entre le professeur d’économie ultra-libéral et la professeur d’histoire marxiste. Caricaturaux encore, les deux protagonistes et leurs familles respectives. C’est comme si le petit Papon de grand-père avait déteint sur Damien, son petit-fils, forte tête, sûr de lui, parfois à la limite de la misogynie ou du racisme, et qui comme par hasard est celui qui a l’idée du crime, celui chez qui le remord apparaît plus tardivement.

 

    Mais laissons tout cela de côté. La seule question qui mérité d’être posée est de savoir pourquoi un tel ouvrage a reçu un accueil aussi chaleureux des critiques. J’ose espérer que ce n’est pas en raison de son “actualité” au travers de la célébration du soixantième anniversaire de la libération de Auschwitz, car pour ce qui est des procès Eichmann et Papon, peut-être vaut-il mieux lire les comptes-rendus d’audience ou le livre de Arendt pour s’en faire une idée. Peut-être est-ce en raison de l’image de la philosophie que donne cet ouvrage, que je n’appelle pas roman, car ce n’en est pas un. Mais, là encore il y aurait beaucoup à redire. Ce serait une citation de Freud, donnée lors d’un cours sur « science et déterminisme » qui  donne à Damien l’idée du meurtre : « ne pas croire au hasard rev[ient] à soutenir une conception religieuse, superstitieuse, du monde, à maintenir l’idée d’une finalité, d’un ordre dernier de l’univers. » J’y vois l’expression du refus de la science propre à une certaine philosophie française. La science ne croit pas au hasard, elle soutient l’existence d’un ordre dernier de l’univers.. elle n’est donc que superstition ! On en arrive ainsi à faire le procès de la science et de la technique (et de toute forme de raison raisonnée) pour complicité dans les crimes nazis !! Cette pseudo-philosophie qui fait de la raison l’ennemie de toute pensée vraie est celle qui me paraît fasciner Leslie Kaplan. À titre d’antidote, je recommanderai le dernier livre de Jacques Bouveresse : Pourquoi pas des philosophes ?)

 

    Rien à mes yeux de lecteur pour sauver ce livre. Il est vrai que l’on publie bien pire à l’heure actuelle, mais que les éditions P.O.L. qui m’ont habitué à mieux publient cela, et que toute la critique journalistique, dont il y aurait beaucoup à dire, emboîte le pas, me navre. Ce n’est pas mal écrit, mais ce n’est pas de la vraie littérature ; le sujet aurait peut-être pu être intéressant, mais cela ne suffit pas. Et puis tout cela manque de finesse tant dans l’écriture que le contenu. J’espérais découvrir un auteur, je suis profondément déçu.

 

Dominique Fagnot

 

Date de parution : 6 janvier 2005

 

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