On
ne peut pas vraiment dire que les personnages du
dernier roman de Luiz Ruffato soient heureux.
Ils font tout pour l’être, par contre. Et y
arrivent, parfois.
Dans
cette contrée misérable au fin fond du Brésil, ce
Minas Gerais où des immigrés italiens ont cru
construire un Eden à la fin du 19ème siècle,
se déroulent de sombres histoires de familles,
d’anciennes lignées d’hommes d’une terre qui
ne produit plus. Les gens se croisent, se lient et
se défont, au gré d’aventures passionnelles et
sombres.
Des
gens heureux est
le premier volet d’une trilogie se déroulant dans
le Brésil ouvrier et agricole des années 1950 et
qui s’intitulerait « Enfer provisoire ».
Et en effet, il est ici question de violence,
inceste, trahison, mort : Ruffato ne
fait pas dans la dentelle, et ne nous épargne rien.
Pour accentuer son propos, l’auteur n’hésite
pas à multiplier les effets de style :
monologue en italique, dialogues en gras, écriture
hachée, diatribes à plusieurs voix, flashs-backs
inclus dans les monologues, différenciés par une
autre police de caractère. Il ose tout, quitte à dérouter
le lecteur dans ce fleuve bouillonnant de mots fiévreux,
d’images délirantes, de passions exacerbées.
C’est un véritable chaos écrit, à l’image des
héros du livre, perdus dans ces tranches de vies
dont ils sont victimes ou bourreaux.
Tout
cela aurait pu être d’un profond pessimisme, mais Des
gens heureux n’est jamais emphatique, ou
défaitiste : derrière chaque histoire misérable
ou sordide se cache cet infime espoir que chacun
peut s’en sortir et accéder à son idéal rêvé.
Même si pour cela, il faut de son passé faire
table rase, accepter parfois l’inacceptable, se
battre contre ses démons, et croire, espérer,
s’imaginer ailleurs, loin…
On
sort de cette lecture secoué, étourdi : l’écriture
tourmentée et radicale de Luiz Ruffato peut
certes rebuter dès les premières pages ; mais
si l’on se laisse porter par cette prose
dynamique, enfiévrée et extrêmement originale, ce
court roman devient un fascinant catalogue d’âmes
blessées, de gens meurtris qui tentent de devenir
ce qu’ils ne seront probablement jamais…à moins
que leur enfer ne soit que provisoire. Sous la
merde, le bonheur ?
Jean-François
Lahorgue
Date de
parution : 8
mars 2007
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