Dans
ce genre de cas, on préfère d’ordinaire opposer
un silence poli : ce livre existe (en tant
qu’objet seulement), disons que je n’ai rien
vu. Une façon comme une autre de ne pas
enfoncer le clou dans du bois déjà mort, dont le
seul destin est une disparition programmée sur le
temps. Du fatras de livres sortant rutilants chaque
saison des imprimeries de France, combien de déceptions,
de projets avortés, d’ambitions contrariées ?
Car ce qui singularise l’activité (à la fois
physique et contemplative) de la lecture tient à sa
capacité à susciter du désir. Contrepartie lourde :
l’entretien quasi permanent d’un grand champs de
frustrations. Mauvais travail éditorial ou médiocre
qualité des plumes publiées ? Un peu des deux
sans doute. Beaucoup beaucoup, pour ce qui est de ce
Grand Père, d’un Costes sans
souffle et mort à la littérature.
La
responsabilité de Fayard dans ce deuil avéré
(l’éditeur, sous couvert de Raphaël
‘Houellebecq’ Sorin) n’est pas douteuse.
Son argument de vente – « Grand Père est
l’histoire d’un homme plongé dans la barbarie,
mais racontée avec une force d’évocation et une
drôlerie décapante qui sauvent du désespoir. On
pense à du Mac Orlan secoué, du Cendrars explosé,
du Céline ivre. Poisseux de sang, débordant de
violence, sans aucun répit » - laisse
songeur quant au minimum de culture littéraire et
de lucidité tout court attendu de la maison
parisienne. Livre provocation, diarrhée verbale en
toc, Grand Père reste en permanence au seuil
triste du récit qu’il envisage. Des litres de
sang, de sperme, des corps découpés, des viols,
des saccages, de la haine : il s’agirait en
somme de dire une certaine vérité, de se
montrer intransigeant (donc désespéré) sur la
nature humaine (et la sienne propre). Pour qui veut
suivre, rien n’adhère. Et si Costes écrit
véritablement à l’oreille (ce qu’il prétend
dans des interviews complaisantes), la sienne est
particulièrement désaccordée. Exemple ?
« Merde ! Le sous-préfet va être
furieux . Les psychopathes du bagne ont encore niqué
les gardiens. Faut envoyer l’armée, bombarder,
gazer. Ca va coûter un fric fou ! ça va la
foutre mal sur le rapport de fin d’année.»
Mais
la raison d’être d’un tel objet se laisse
deviner en quatrième de couverture : « Figure
de l’Underground, Jean-Louis Costes est connu pour
ses opéras pornos-sociaux, des performances crues
et violentes qui ne respectent aucun tabou. Sans
rien renier de sa rage, il fait une entrée
fracassante dans la littérature avec ce roman peut-être
en partie autobiographique ». Fayard se révèle
ainsi un éditeur qui ne pense pas les textes d’abord
– qu’importe leur auteur – mais qui travaille
le coup médiatique seulement, dans un but évident
de rentabilité financière. Qu’importe le flacon
pourvu qu’on vende. Cette hypothèse – la plus
favorable : nous jetterons un voile pudique sur
l’incapacité de Fayard à saisir l’âme de la
littérature – est bien dans la marche logique du
monde contemporain. Du médiocre Beigbeder au
grotesque Costes, une longue chaîne d’intérêts
partagés se nourrit sur le dos du lecteur. C’est
en réaction à cette tyrannie intéressée qu’il
fallait écrire cette (médiocre, effet de mimétisme)
chronique ; pour dire une bonne fois pour
toutes des évidences masquées par la critique
complaisante (et pour cause).
Christophe
Malléjac
Date
de publication : 15 février 2006
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