D’abord
traductrice, puis auteur de livres pour enfants et
de pièces de théâtre, la pétulante Agnès
Desarthe s’essaie avec succès depuis 1993 à
l’écriture de romans. Son dernier roman Mangez-moi,
retenu pour le prochain Renaudot, dresse une
passerelle inattendue et pourtant logique entre littérature
et gastronomie. Il met en scène Myriam, « mauvaise »
femme en quelque sorte, qui n’a plus su aimer son
fils et préféra tourner le dos à sa famille. En
choisissant d’ouvrir un restaurant appelé
« Chez moi », elle tente à
travers l’amour de la cuisine, de se reconstruire.
Mangez-moi, tour à tour léger et grave,
plus qu’une simple ode aux plaisirs de la table,
est aussi un livre qui interroge la maternité, la
difficulté d’être mère et rend hommage à la nécessité
de la littérature comme rapport au monde.
Rencontrée
lors du dernier Livre sur la Place, qui se
tient chaque année mi-septembre à Nancy, Agnès
Desarthe, dépitée du peu de sollicitude
manifestée par des visiteurs probablement plus
excités par les invités "people", a répondu
avec simplicité et gentillesse à nos questions.
Pouvez-vous
nous en dire plus à propos de Myriam ?
C’est
un personnage dur aux réactions violentes. Avant
l’ouverture du restaurant, elle a eu un parcours
assez chaotique. Elle est totalement en marge :
moralement et financièrement. Elle s’est elle-même
bannie de la société, se punissant de l’acte
horrible de ne plus savoir aimer son fils. Avec le
restaurant, elle trouve un moyen de donner de manière
ordonnée alors que jusqu’à présent, elle
pensait avoir donné à tort et à travers. La
nourriture est un don de soi aux autres. Le moment où
on la rencontre Myriam a cessé de fuir. Elle crée
un endroit qu’elle appelle « Chez moi »
qui lui sert à la fois de lieu de travail et de
logement. A partir du moment où Myriam se stabilise
géographiquement, son passé reflue. Elle crée un
lieu de rencontres pour renouer avec la société.
Elle materne son entourage : Ben le serveur,
deux clientes étudiantes.
Elle
renoue avec l’idée que le monde n’est pas forcément
un endroit de perdition. Elle fait de son restaurant
un véritable phalanstère.
C’est
donc quelqu’un en pleine reconstruction ?
Elle
parle de l’éloignement de son fils comme une
amputation. Ce n’est pas un désamour classique,
dans l’indifférence, mais plutôt une incapacité
à accéder à cet amour pourtant naturel. La
reconstruction apparaît comme un road-movie à
l’envers, à l’arrêt en quelque sorte :
après sa chute, Myriam se stabilise et les
personnages forment un carrousel autour d’elle.
Par
la titre et l’environnement, vous établissez un
parallèle entre littérature et nourriture. Comment
le voyez-vous ?
C’est
l’idée de la consolation possible par les livres
et la nourriture seulement différenciée par
l’immédiateté et la solitude. La lecture est un
plaisir solitaire aux rejaillissements durables. La
nourriture est un partage dont les bienfaits sont
visibles et immédiats. Le cuisinier peut voir chez
ses convives le bienfait de son travail, alors que
l’écrivain ne peut pas connaître cette immédiateté.
On sait pour qui on cuisine, on écrit pour mais il
n’y a pas forcément quelqu’un derrière ce
« pour ».
Le
livre gagne en profondeur et en gravité au fur et
à mesure de son avancement et du travail sur elle-même
de Myriam. Comment avez-vous travaillé sur cette évolution ?
Au
début, le ton est souvent léger, à la blague.
Passés l’excitation et le temps de la
stabilisation, les retours vers le passé peuvent
prendre de plus en plus de place. Et les
allers-retours entre passé et présent sont de plus
en plus nombreux.
La réconciliation finale, à la fois prévisible
et inattendue, est pour moi une surprise. Quand je
commence à écrire, j’ai une vision globale sans
savoir exactement comment les choses vont
s’organiser, comment le chemin jusqu’à une fin
espérée ou entrevue va se débroussailler.
Comme
pour les lecteurs, la fin constitue en partie une
surprise pour moi.
Propos
recueillis par Patrick Braganti
Septembre
2006
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Agnès
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Brissac/Agnès Desarthe - V.W. Le ménage des genres
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