Thierry
Hesse -
Le cimetière américain
Editions
Champ Vallon - 2003
Inspiré très librement
d’une fameuse affaire sordide et médiatisée qui se déroula
au début des années 80 dans une vallée vosgienne –
qui fit même réagir en son temps Marguerite Duras - , il
serait faux de réduire ce premier roman de Thierry
Hesse à une simple évocation déguisée de ce fait
divers. Parce qu’il n’y pas ici volonté de l’auteur
de conduire une enquête. En fait la disparition d’une
adolescente, Reine, sans doute plus idéaliste ou plus
ambitieuse que ses condisciples, ne sert que de fil
conducteur, de révélateur de la photo d’une région
que ce professeur de philosophie qui vit aujourd’hui à
Metz connaît bien.
Car la disparition de Reine est
certes à mettre en parallèle avec celle du tissu social
de toute une région dévastée, laissée pour compte des
nouvelles politiques industrielles qui ont vu les usines,
principalement textiles, fermer les unes après les
autres, laissant en plan des êtres absolument pas préparés,
désemparés et perdus au point- qui sait ?-, de
commettre des actes irréparables mais preuves d’un
semblant de vie encore.
Le livre utilise plusieurs
formes de narration. Il fait souvent abstraction de la
ponctuation, intercale des passages blancs dans les
phrases et n’hésite pas de temps à autres à répéter
les mêmes mots, les mêmes phrases comme un besoin
d’appuyer, de marteler, de croire, de faire croire.
Peu chronologique, passant des
années 83-84 à aujourd’hui, le roman s’intéresse
aux protagonistes de cette histoire : les parents de
Reine, les Donadieu ; sa copine Zette, pas encore
devenue Marie-Jo manucure, coiffeuse rêvant d’un destin
de star ; Heckmann suspect numéro un pendant
quelques temps ; des témoins ; le juge Pousseur
converti résigné et amer aux amours virtuelles ;
l’avocat Garache si parisien, si brillant. Il les situe
bien sûr par rapport à l’intrigue, mais il les replace
aussi dans ce contexte de fin de siècle, où les repères,
les certitudes s’effacent progressivement. Et tout comme
chez Eric Pelsy évoqué dans une autre chronique
– la proximité des lieux, le style et la force de
chacune des histoires rapproche étrangement les deux
auteurs – il y a aussi chez Thierry Hesse un côté
naturaliste à décrire de façon aussi juste et émouvante
la vie de ces gens. Les pages consacrées au petit déjeuner
rituel et silencieux entre les parents de Reine, ou encore
celles qui relatent le coup de folie du père Donadieu à
l’usine, à la section emballage, sont d’une vérité,
d’une précision clinique incroyables.
Outre ce talent à dépeindre
la vie d’une région abandonnée, Thierry Hesse
nous laisse définitivement pantelants et émerveillés en
opérant un raccourci vertigineux et lourd de sens entre
un cimetière américain à quelques kilomètres de la
vallée, constitué de tombes presque oubliées de soldats
venus combattre pour délivrer un pays, et le cimetière
local où repose Reine, visité bruyamment avec si peu de
correction et de dignité par un assemblage de personnes réunies
pour un mariage.
Le temps qui passe, qui lamine et
fait oublier, la petitesse des gens curieux, avides, comme
repus du malheur des autres imprègnent alors toute la fin
de ce livre émouvant et prenant, qui tout en dressant ce
constat terrible, ne peut s’empêcher de traiter ses
personnages avec infiniment de tendresse et de respect.
200 et quelques pages très fortes à lire impérativement.
Patrick
A noter que Thierry Hesse
sera l’invité d’Alain Veinstein le vendredi 24
Octobre à minuit (Du jour au lendemain – France
Culture)
et le dimanche 2 novembre à 11 h, dans l'émission Le
Bateau-Livres, sur France 5.
Editions Champ Vallon
01420 Seyssel France
Tél : 04 50 56 15 51
www.champ-vallon.com
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