Il faut vraiment remercier Jonathan Franzen :
non seulement parce que Les Corrections est
un des meilleurs romans américains de ces dernières
années, mais aussi parce qu’il a aidé avec
d’autres à faire sortir de l’ombre un autre écrivain
du début du vingtième siècle, Paula Fox
dont les éditions Joëlle Losfeld vont
prochainement publier l’intégralité de l’œuvre,
soit six romans – la majeure partie de son travail
étant constituée par des livres pour la jeunesse.
Le Dieu des cauchemars,
récit considéré comme le plus tendre dans sa
bibliographie, est avant tout un roman
d’initiation, de perte de l’innocence par
l’entrée dans le monde des adultes et
l’ouverture aux autres. Le thème de l’innocence
et de la prise de conscience, aussi douloureuse
soit-elle, est récurrent chez Paula Fox.
Au
nord de l’état de New York, vit Helen Bynum avec
sa mère Beth, presque en autarcie, ne voyant
personne hormis les clients de leurs bungalows.
Lincoln, le père et mari, les a quittées il y a
bien longtemps n’ayant pas supporté la faillite
de son élevage de chevaux, des animaux pour
lesquels il voue une véritable passion, la seule de
sa vie d’ailleurs. A l’annonce de sa mort, Beth
décide qu’il est grand temps pour Helen de
quitter la maison, prétextant d’aller chercher à
La Nouvelle-Orléans sa tante Lulu pour qu’elle
vienne aider sa sœur.
Même
si les deux sœurs ont été danseuses chez
Ziegfield au temps de leur jeunesse insouciante,
leur personnalité et leur manière de voir la vie
sont en totale opposition, ce que constate Helen à
son arrivée. N’acceptant pas l’hospitalité de
sa tante Lulu qui a sombré dans l’alcool, elle
trouve une chambre chez un couple illégitime
Catherine, dactylo au service d’auteurs, et Gérald,
poète libre, entourés d’amis cultivés. La littérature,
le cinéma et la mémoire de Marcel Proust sont
souvent les sujets de conversation de cette bande
d’amis bohèmes et disparates. Dans cette ville métissée,
encore imprégnée de la culture française, Helen,
qui se lie d’amitié avec Nina, jeune fille
passionnée et entière, fait l’apprentissage de
la vie. Et se met à réfléchir sur sa propre
existence, la relation avec sa mère, ses
aspirations et sa place dans le monde. Un monde qui
commence à vaciller, avec en toile de fond l’évocation
du début du second conflit mondial et la fin annoncée
de l’ordre ancien.
Pendant
ces quelques années où subsistent toujours les
stigmates de la ségrégation entre les blancs et
les personnes de couleur et où la misère constitue
le lot quotidien de beaucoup, Helen rencontre les
personnes qui vont l’aider à grandir et fonder
son avenir, y compris son futur mari Len.
Paula Fox
excelle à décortiquer les sentiments humains et
les tourments de l’âme, caractéristique régulièrement
affichée par les meilleurs romanciers américains,
à l’instar de Carson McCullers par
exemple. Ecrit à la première personne, le roman
est traversé de nombreuses interrogations, que les
longues discussions entre Helen et Nina permettent
d’exprimer. La confrontation avec la naissance du
désir et la richesse des rencontres transformées
en amitiés marque la prise de conscience de Helen
et son éloignement, sinon la rupture, avec
l’innocence. D’ailleurs, le livre qui s’achève
par la mort de Beth révèlera un dernier secret à
Helen, lourd de sens.
A quatre-vingt une années, Paula Fox connaît
un sursaut de notoriété qui fait ironiquement
rebondir sa vie. Il convient donc d’en profiter à
notre tour et de s’approprier l’univers humain
et chaleureux de ce grand auteur.
Patrick
Braganti
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