A
l’instar d’être toujours le con de quelqu’un,
on est aussi, bien souvent, la victime d’une
brute. Mais attention, pas la brute au sens physique
du terme, pas le gros costaud qui tapait des plus chétifs
à la cour de récréation. Non, les
brutes selon Jaenada,
ce sont toutes les personnes rencontrées dans notre
existence et qui représentent, de près ou de loin,
l’autorité, la loi et l’obligation. En
l’occurrence, ce petit livre d’une centaine de
pages est un véritable manifeste, un manuel à
l’usage de ceux qui osent dire non.
Pour
l’auteur, habitué aux romans drôles avec succès
d’estime ( Néfertiti
dans un champ de canne à sucre, Le
chameau sauvage), c’est un nouveau pas de
franchi dans son œuvre : l’autobiographie
tournée en dérision. C’est effectivement avec un
humour en demi-teinte et très écrit, qui s’égrène
du début à la fin de l’ouvrage, tendre et un peu
cynique, que Jaenada
nous décrit les trois épisodes de sa vie auxquels
il a du (et voulu) s’opposer, en découdre, oser
dire « non » et lutter : sa
communion, son incorporation militaire et son
mariage.
Il
choisit ensuite d’expliquer un de ces épisodes
par d’infimes détails, tous plus comiques les uns
que les autres, en évoquant les différentes stratégies
mises en place pour échapper à l’Armée et à
l’autorité militaire : mise en scène de
problèmes psychologiques avant les « trois
jours d’incorporation » qui déterminent si
vous êtes aptes à effectuer un service militaire,
les rendez-vous avec les psys, …La réussite des Brutes
tient dans la manière passionnante de dérouler le
récit : Philippe
Jaenada construit ces épisodes comme un
thriller, il ménage le lecteur à grands coups de
théâtre, et distille un suspense qui dure
jusqu’au dénouement final. Va-t-il réussir ?
Va-t-il échouer ? l’auteur-personnage
devient un véritable héros d’une saga intime,
personnelle et en même temps qui nous concerne tous :
les rares moments où l’on réfute la loi,
l’autorité, l’obligation.
Se
rebeller, dire non, refuser la résignation et le
pouvoir de l’autre : en ces temps où tout
nous semble de plus en plus contrôlé, interdit, où
l’on doit tout accepter et se courber, le
manifeste de Jaenada,
même s’il fait référence à ce qui n’existe
plus en France (le service militaire) est une belle
métaphore de la société actuelle. Par l’humour
et la distanciation caustique, aidé des magnifiques
illustrations en noir et blanc de Dupuy & Berberian, l’auteur renvoie ainsi à nos propres
agissements, à nos propres décisions :
serions-nous capables, tous, de lutter et de dire
« Non » ? Jaenada
est un rebelle amusant, mais un rebelle quand même.
Jean-François
Lahorgue
Date de
parution : 9
novembre 2006
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www.jaenada.com
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