La tentation de tout quitter, de tourner le dos à sa vie
pour tenter de lui donner enfin un véritable sens
est de plus en plus courante, signe évident
d’une époque en fin de course, d’une société
qui se délite pas mal. On peut aujourd’hui la
repérer facilement à travers les arts en général
et les trois romans que je chronique ce mois-ci
abordent bien à leur manière ce sujet universel.
Dans ce bref récit d’une soixantaine
de pages, l’officier russe Gregor Malkovitch est
sur le front qui oppose l’armée soviétique à
la résistance afghane. Il y est efficace, meneur
d’hommes sans états d’âmes particuliers,
sans trop d’illusions non plus. Mais le jour où
il découvre le corps déchiqueté d’une petite
fille victime de l’imagination barbare des stratèges
qui transforment une simple peluche en bombe
fatale, il décide de ne plus cautionner son armée
ni son pays. En fuite, devenu déserteur, il
franchit les montagnes afghanes au climat rude et
incertain pour rejoindre l’Inde avec
l’intention d’aller vers le sud. Son périple
va s’arrêter dans une petite ville frontalière
où l’hôtelier qui l’héberge surnommé le
Chinois l’initie progressivement aux pratiques
de l’opium et à sa philosophie du « non-agir ».
Dès lors, l’univers de Marko et son champ
d’actions vont considérablement se réduire
jusqu’aux dimensions de cette arrière-salle
obscure où la notion même du temps et des réalités
finit par se diluer.
C’est un roman sur le choix d’une vie, mais pas
seulement. Car à travers l’histoire de Marko
qui passe à la fois par la renonciation et la découverte
d’un autre monde, Pierre Le Coz pose en
filigrane la question primordiale de
l’opposition éternelle entre l’action et la
contemplation, et au-delà entre l’irréfléchi
et le réfléchi.
L’ extase au noir mentionnée ici a également un
double objet : d’abord à la fin d’une
nuit durant le conflit les yeux grand ouverts sous
la voûte céleste perçue comme un immense et épouvantable
puits rendant si vaines les tentatives de
l’homme ; ensuite celle provoquée par les
prises opiacées annihilant toute velléité
d’agir, faisant tournoyer le monde autour de
soi.
Auteur breton, Pierre le Coz a
jusqu’ici publié romans et récits de voyages
et son dernier texte à l’écriture simple et poétique,
conférant à l’ouvrage un aspect de conte
moderne est empreint de cette dualité Orient Occident.
Publié chez un éditeur régional Apogée, dans la
collection Piqué d’étoiles à saluer
pour son exigence et sa volonté affichée de
donner à lire des romans de confrontations, de
doutes et de cheminements, L’extase au noir
offre aussi à son lecteur une autre opposition :
si une heure suffit à sa lecture, l’impression
laissée avec son lot de questionnements et réflexions
dépasse largement cet intervalle de temps,
remplissant largement l’objectif de toute œuvre
digne de ce nom.
Patrick
Editions Apogée
11 rue du Noyer
35000 Rennes
Tél :
02 99 32 45 95
-