roman

Christophe Dufossé - L’heure de la sortie   

Folio - 406 pages, 7.30 € - 2004 

 

 

 

     Alors que l’on pourra lire prochainement son second roman très attendu, La diffamation, il est fort recommandé de profiter de sa parution chez Folio pour (re)découvrir le premier bouquin remarqué – et auréolé du Prix du Premier Roman – de ce jeune auteur blésois d’une quarantaine d’années. Oui remarqué, parce qu’en tous points remarquable par sa maîtrise, son originalité et son talent d’écriture ciselée et précise.

 

    Les quatre cents pages de L’heure de la sortie tournent autour de la vie de Pierre Hoffmann, professeur de français, célibataire esseulé et un peu sauvage, qui affectionne beaucoup l’auto-analyse et la décortication intellectuelle.

Dans un collège tourangeau, il est amené à assurer les cours d’un collègue stagiaire qui s’est suicidé en se jetant de la fenêtre d’une classe où il enseignait l’histoire à des élèves d’une quatrième F. Ceux-ci se révèlent très vite comme étranges : plutôt calmes et doués, ils semblent très soudés depuis des années, constituant un corps compact et indivisible contre lequel le prof décédé s’est peut-être écrasé. Très vite, règne une ambiance anxiogène et pas très nette, faite de suspicions. Qu’en est-il vraiment de cette classe ? Sentiment renforcé lorsqu’une jeune élève est agressée sauvagement un soir, puis par une filature de Pierre découvrant des rites étranges pratiqués au fond d’un parc, enfin par l’organisation tardive et surprenante d’un voyage de fin d’année à Etretat.

 

    Dufossé, s’il centre effectivement l’intrigue sur cette classe, développe également toute une kyrielle de personnages toujours bien campés et décrits en quelques lignes, s’attachant plus particulièrement aux traits des visages et aux voix. A côté du corps enseignant, très bien vu et ironiquement décortiqué – entre autres au cours d’un repas entre collègues qui tourne au vinaigre -, viennent se greffer la sœur de Pierre : Léonore avec qui il entretient une relation très proche, presque incestueuse et des personnages secondaires, mais tous traités avec un égal intérêt et une même dissection clinique au scalpel.

Truffé de références musicales qui parleront beaucoup aux trentenaires nostalgiques, ce roman écrit à la première personne livre aussi quelques réflexions sur le système de l’Education Nationale, où médiocrité ambiante et appauvrissement de la culture deviennent les maîtres mots.

 

    Mais c’est aussi un livre sur l’incapacité à interpréter et à comprendre des événements dont la signification ou l’enchaînement logique n’apparaissent souvent qu’après coup. Cette incapacité-là, que le très cérébral et réfléchi Pierre sait parfaitement verbaliser, finira par faire chavirer sa propre vie.

Dans le portrait juste de ces adolescents particuliers, à l’intelligence acérée et au mal de vivre probant, on ne peut pas ne pas penser quelques instants au film Elephant, tant les adolescents français dans leur détermination à la limite de l’extra-terrestre et leur comportement presque autiste sont proches des lycéens américains.

 

    Brillant et jamais relâché, sachant distiller l’angoisse avec deux fois rien, composant une galerie de personnages différents, surtout servi par une syntaxe toujours juste et adéquate, L’heure de la sortie est effectivement un premier roman très abouti qu’il n’est pas question de louper aujourd’hui – alors que celle de la rentrée n’est plus si lointaine.

 

Patrick Braganti

 

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Roman paru aux Editions Denoël en 2002