Alex Cooper attend sa sœur. Il l’attend depuis
des années, exactement depuis le jour où elle est
partie vivre aux Etats-Unis en lui disant « je
reviendrai bientôt ». Dès cet instant, il
n’a fait qu’attendre son retour. Sa vie toute
entière est construite autour de cette dimension :
les matinées lui appartiennent pour un semblant de
vie sociale obligée et subie, mais les après-midi
sont des espaces réservés à l’attente, pure,
vibrante.
Cooper vit donc à peine, sort peu, tout entier
tendu vers le retour annoncé de sa sœur. Il néglige
son travail à la banque, d’ailleurs peu
passionnant, se nourrit sans conviction et
exclusivement de cuisine chinoise –le traiteur en
bas de chez lui fait l’affaire. Et bien que Cooper
dégage un certain charisme auquel quelques
personnes du sexe opposé sont sensibles, il n’a
aucune vie amoureuse puisqu’aucune autre femme
n’existe pour lui que sa sœur.
L’homme-sœur
est un livre sur l’absence, construit autour de
cette vague promesse de retour faite un jour et qui
décide de la tonalité générale d’une existence
vouée à ce culte unique : Louise, sœur
bien-aimée, trop aimée, exclusivement désirée,
et bien sûr interdite.
Il
ne s’agit pourtant pas ici d’un roman sur
l’inceste, mais, bien au-delà, d’un texte sur
ce qui constitue une vie. Entre humour noir irrésistible
et tendre ironie, Patrick
Lapeyre dresse le portrait émouvant autant que
sidérant d’un homme tour à tour attachant et
insupportable de suffisance et de misanthropie.
A
bout d’espérance, Cooper oscille entre exaltation
folle et dépression sordide. Parfois Louise
resurgit et existe enfin pour quelques instants, généralement
par le biais d’un coup de fil pour lui demander de
l’argent, ou pour lui signifier elliptiquement une
réapparition probable mais non datable en France.
Alors, telle une plante verte dopée à l’engrais,
Cooper s’épanouit, reprend goût à la vie et
brique son appartement : il s’agit de se préparer
à recevoir dignement sa sœur… Dans cette vie
sublimée par l’absence et uniquement rythmée par
quelques cartes postales lapidaires ou de rares
messages de Louise sur son répondeur, Cooper fait
figure de anti-héros absolu.
Entre
sourire complice provoqué par la drôlerie
cinglante du style de Lapeyre
et compassion perplexe pour un être radical et étonnant,
le lecteur se trouve entraîné par la spirale de la
dépression de Cooper, attiré par le vide
consciemment programmé de cette existence grise.
Car
on ne lâche pas ce livre constitué de courts
chapitres qui sont autant de saynètes aux titres
parfois houellebecquiens ("les immaturités
incompatibles", "la forme de l’erreur",
"une solitude élémentaire", ou encore
"une angoisse centrifuge…"), la dernière
donnant son titre au livre, sinon son possible sens :
à force d’attendre sa sœur, Cooper devient
sa sœur.
Christelle
Patrick
Lapeyre a récemment reçu pour cet ouvrage le Prix
du livre Inter 2004.
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