roman

José Eduardo Agualusa - Le Marchand de passés

Éditions Métailié - 144p, 15 €

[3.5]

 

 

A Luanda, en Angola, Félix Ventura, bouquiniste albinos, se dit « généalogiste ». En fait, son activité est bien plus hors du commun : il invente un passé prestigieux aux nouveaux riches qui, au sortir de la révolution, sont soucieux d’oublier leur passé ou qui veulent pouvoir se vanter d’ancêtres héroïques. Au fond, Félix est un romancier, comme il le dit lui-même : « je crée des intrigues, j’invente des personnages, mais au lieu de les garder prisonniers dans un livre je leur donne vie, je les jette dans la réalité » (p. 52). Mais à force d’inventer des histoires et de brouiller les frontières entre la vérité et le mensonge, entre la réalité et le rêve, Félix finit par se perdre dans son propre jeu. Un jour, un étrange personnage vient le voir : à sa demande, Félix lui fabrique de toutes pièces un passé et le rebaptise José Buchmann. Mais très vite tout se passe comme si ce personnage fictif se mettait à réellement exister dans la peau de cet étranger sans passé. Comment est-ce possible ?

 

Les mensonges de Félix Ventura ressemblent à des vérités, tandis que la réalité paraît si folle, si invraisemblable qu’on n’arrive plus à y croire. Le roman est construit sur cette ambiguïté : le lecteur est perpétuellement en équilibre sur cette ligne ténue où la vérité menace toujours de basculer dans l’affabulation. L’originalité de José Eduardo Agualusa est d’avoir choisi un narrateur bien étrange : tout est vu à travers le regard d’Eulálio, un gecko – curieux lézard des pays chauds – qui sait être philosophe à ses heures et qui, parfois, redevient homme et rencontre Félix Ventura dans ses rêves. Comme les autres personnages, Eulálio explore son passé et est en quête d’identité. Qu’importe s’il faut se perdre dans la confusion du fantastique pour retrouver qui on est.

 

A travers un roman déconcertant, souvent très poétique et parfois satirique, l’auteur dénonce de façon inédite la société angolaise. En faisant vivre des personnages troubles entre l’ombre et la lumière, il dresse le portrait de l’Angola au sortir de ces années de guerre où les mensonges ont contaminé le pouvoir. La politique et la littérature mènent le même combat : elles remplacent une « vérité impossible » par un « mensonge banal et convaincant » (p. 121)… et vice-versa.

 

Cependant, à force de jouer à se laisser glisser sur cette pente instable du véridique, du vraisemblable et du fictif, le lecteur ne sait pas toujours très bien ce qu’il en est. La narration paraît se perdre dans de multiples directions sans vraiment parvenir à commencer. Est-ce l’histoire de Félix Ventura, l’albinos inventeur de passés ? Est-ce celle de José Buchmann, le mystérieux inconnu qui finit par croire lui-même à la vérité de sa fausse identité ? Ou bien est-ce celle du narrateur qui, du haut de son mur, assiste à toutes les scènes ? Et pourquoi avoir choisi cet animal bizarre comme narrateur ? Y a-t-il un message caché derrière ce choix narratif ?

 

Cette question, le lecteur semble ne pas pouvoir s’empêcher de se la poser face à ce roman très riche qui paraît foisonner de symboles. Très riche ? peut-être trop riche. La narration n’aurait-elle pas gagné en intensité et en émotion si elle avait été resserrée autour d’un seul personnage ?

 

Céline Lavignette-Ammoun

 

Date de parution : Février 2006

 

Plus+

www.editions-metailie.com