Sur
la quatrième de couv, une petite photo nous montre Philippe
Delepierre, petite barbe poivre et sel, paupières
un peu tombantes, regard profond et un peu triste.
Normal, car après avoir lu son recueil de cinq
petits récits, desquels on ressort franchement
essorés et anéantis, on se dit que ce gars-là,
enseignant à ses heures, voyageur et découvreur
impénitent, pourfendeur de l’ordre établi et de
la langue de bois, lecteur insatiable, en connaît
un sacré rayon sur la nature humaine et sur l’état
d’un monde décidément à bout de souffle. Un
monde, dont l’enfant-roi devenu tyran en est la
victime toute désignée et presque acceptée.
Cinq histoires qui mettent le plus souvent en scène
des gosses : soit des gamins menteurs,
mythomanes et cruels, soit des ados désenchantés
et désœuvrés en rébellion contre la société,
leurs parents.
L’auteur,
qui s’est aussi illustré dans le polar, ne manque
certes pas d’imagination, en nous tenant en
haleine tout au long de ces cinq drames humains.
Bien sûr, il y règle pas mal de comptes avec le
poids des média (la fascination fatale exercée par
une journaliste parisienne sur des lycéens), celui
de la religion musulmane (la fille arabe devenue
pute à quinze ans pour acquérir sa liberté et
fuir sa famille), l’attirance malsaine des mondes
virtuels offerts par l’Internet. Autant dire que
tout cela s’inscrit dans la réalité la plus
noire, la plus pessimiste qui n’offre plus aucune
échappatoire.
En plus de la force incontestable des récits
haletants, il faut ajouter le talent de cet auteur
nordiste (tout se passe dans la région lilloise) à
jouer avec les mots, insufflant un rythme chaloupé,
multipliant les allitérations et se rapprochant de
la logorrhée propre au rap. Il avoue son penchant
pour la vibration et le verbe, lesquels sont étroitement
imbriqués, en déclarant bien haut : « Faut
que ça swingue nom de Dieu et les mots ont intérêt
à suivre la cadence ».
Soyez
rassurés cher Philippe, nous la suivons haut le cœur,
proches d’être bouleversés et emportés dans ce
flux lexical toujours maîtrisé et renouvelé à
l’invention poétique.
Il
y a aussi cette capacité à se mettre dans la peau
de plusieurs personnages, jeunes et moins jeunes,
hommes ou femmes. Les cinq histoires même différentes
véhiculent toutes de la noirceur et du désespoir,
traversées de part en part par la mort toujours
provoquée, préméditée.
Delepierre
qui confesse son respect, voire une filiation, pour Simenon,
Hammett et Goodis et se reconnaît des
liens fraternels avec Echenoz, Pouy ou
Daeninckx, est bel et bien un auteur nécessaire
et talentueux. Nécessaire, car il réveille en
chacun de nous l’esprit critique que seule permet
l’écriture militante et subversive. Talentueux,
par son style décapant et musical, son savoir-faire
à imaginer et à raconter des histoires. Noires,
mais vivantes. Les lire dérange et bouscule, mais
surtout cela émeut et procure un bien fou.
Patrick
Editions
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Lille
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