Sorti
à la rentrée 2003, l’essai pamphlétaire de Birenbaum
avait suscité pas mal de polémiques et de
controverses dans le petit monde parisien des
politiques et des journalistes. L’effet en quelque
sorte d’un pavé dans la mare fangeuse des canards
jetés par un des canetons. Très vite le livre a été
circonscrit par ses pairs – ce qui était une
facilité et un évitement de questions plus épineuses
– à un ramassis de ragots ou « un ragoût
de racontars » comme l’avait qualifié
à l’époque Christophe Barbier dans L’Express
que l’on a connu plus inspiré et perspicace.
L’édition
en poche un an plus tard permet une lecture plus
distanciée, moins passionnée, d’autant que Birenbaum
l’a entièrement révisée par une réécriture de
la préface, de l’épilogue et de la postface.
Notre intention sera ici de présenter les
motivations et les postulats proposés et défendus
par l’auteur. Un jugement plus critique, soit
l’exposition de contre-arguments factuels tendant
à prouver l’erreur de Birenbaum et son
manque de preuves, ne sera pas possible. Car pour le
mener à bien, il conviendrait de faire partie soi-même
du club privilégié d’initiés et avoir ainsi accès
à des dossiers et des informations auxquels le
commun des mortels, qui plus est provincial, ne peut
définitivement prétendre.
Lisons
tout d’abord Birenbaum pour tenter de
saisir ce que le terme initiés recouvre :
« Nous sommes deux mille, trois mille ou
cinq mille initiés. Peu importe notre nombre précis.
De nos positions dans les milieux qui comptent, nous
croyons construire, fabriquer, polir l’opinion. [
] Nous sommes journalistes, chroniqueurs, éditeurs,
politiques, intellectuels, patrons, hommes de réseaux,
conseillers de l’ombre, communicants. [ ] Nous
vous dictons ce que vous devez faire. Cela fait des
lustres que c’est ainsi et il n’y a pas raison
pour que cela change. »
Pour
Birenbaum, c’est le 21 Avril 2002 et
l’arrivée au second tour des présidentielles de
Jean-Marie Le Pen qui met le feu aux poudres et
l’incite à démarrer la rédaction de son essai.
En effet, la triste mésaventure de la gauche entraîne
une unanimité étrange et immédiate pour Chirac,
sous fond de peur, d’hystérie et de risque supposé
d’une victoire de l’extrême droite, le tout
savamment orchestré par journalistes et
conseillers. Ce pouvoir-là des initiés a valu plus
de 80 % des suffrages à Chirac et a probablement
bouleversé le visage de la France – ses
institutions et ses valeurs politiques et morales
– en profondeur. Le Pen qui avouera en septembre
2002 à Birenbaum « qu’il
n’avait pas progressé de plus de 200 000 voix
entre 1988 et 1995 et ne pouvait pas gagner,
n’ayant pas les hommes » a dû bien
s’amuser de toute cette mascarade
pro-chiraquienne.
Mais
regardons plutôt ce qui constitue le cœur de
l’ouvrage. Birenbaum dénonce les
agissements des politiques et leur inadéquation
complète entre discours et réalité – grand écart
entre faites comme je dis et pas comme je fais -, la
complicité des journalistes pourtant informés et
in fine la collusion qui s’instaure entre ces deux
mondes. Bien sûr pour étayer ses postulats,
l’auteur est allé fouiller dans la vie dite privée
de ces personnalités, ce qui a enclenché la polémique
que l’on sait, ramenant le propos à un sordide
lavage de linge sale sur la place publique.
Certes,
mais la question de la frontière ténue et périodiquement
franchie entre vie privée et vie publique mérité
d’être abordée. En aucune façon, Birenbaum
conteste que chaque individu puisse avoir droit à
sa sphère privée mais qu’advient-il quand le même
individu l’exhibe à la une des magazines ou dans
des émissions télé à l’intérêt éducatif
contestable ?. Ainsi Luc Ferry, ancien Ministre
de l’Education Nationale, qui n’hésitait pas à
se montrer dans Paris Match en compagnie de sa jolie
épouse dans toutes les soirées mondaines, avait très
mal supporté que la presse révèle que ses enfants
fréquentaient des écoles privées. Où commence dès
lors la vie publique d’hommes et de femmes qui
sont élus et censés représenter sinon défendre
le peuple ?
On
se souvient que cela avait commencé très fort avec
Mitterrand qui cachait aux Français – mais pas
aux initiés curieusement muets et complices – sa
maladie détectée dès le début des années 80 et
l’existence de sa fille Mazarine. Aux dires de Birenbaum,
il semblerait que le cas ne soit pas unique
puisqu’il évoque un enfant illégitime de
Giscard, lequel a intrigué pour que sa mère soit
élue député européenne et plus récemment le
fils caché de Chirac au Japon. L’existence de ces
enfants n’a en elle-même pas beaucoup d’intérêt
et devrait rester dans le strict périmètre de la
vie privée si par ailleurs il n’y avait pas
utilisation détournée et peu scrupuleuse des
deniers de la République à des fins personnelles,
sans parler de l’usage abusif permis par les
statuts de tout ce petit monde. A la barbe des
journalistes pourtant parfaitement au courant mais
restant bouche cousue sur ces sujets.
Il
est vrai que la complicité des uns et des autres
s’exerce aujourd’hui bien au-delà des lieux de
travail respectifs et l’on ne compte plus les
couples à la ville qui unissent les deux. Encore
une fois, chacun est libre de sa vie privée, ce que
ne manque pas de répéter à plusieurs reprises
l’auteur. Néanmoins on est en droit de se poser
des questions sur l’objectivité et la déontologie
de ces journalistes.
Le
livre foisonne ainsi d’exemples pour illustrer
cette démonstration. Ce ne sont pas ces
illustrations qui retiennent l’attention. Après
tout, nous pauvres non-initiés sommes peu intéressés
par ce microcosme et si c’était le cas la lecture
de Voici ou Gala est davantage conseillée.
L’impression ressentie par un lecteur lambda
tiendra plus du dégoût, d’une énorme tromperie,
de l’entretien rôdé et huilé du leurre et de la
mise à l’écart.
Pas
question ici d’entamer le triste couplet de
« tous pourris ». Quelques
exemples particuliers ne doivent pas entacher la
respectabilité du général. Cependant au regard
des déconvenues de ces dernières années (Le Pen
en 2002 et la démotivation croissante du peuple par
l’augmentation de l’abstention), le livre de Birenbaum
a l’avantage de présenter le constat dont le
caractère très français laisse songeur.
Entre
des journalistes et des intellectuels frileux et
sans grande envergure et des hommes politiques qui
peinent à réinjecter souffle et nouvelles idées
dans leurs programmes et leurs combats, la situation
n’a rien de réjouissant.
En
vouant aux gémonies son essai et en traînant son
auteur dans la boue, le monde des initiés a pour
l’instant montré son désir de ne pas trop
vouloir changer le cours des choses. Pourquoi pas,
de toute manière l’avenir se chargera bien de désigner
ceux qui avaient vu juste et les autres. Affaire(s)
à suivre…
Patrick
Braganti
Date de
première parution : Editions
Stock 2003
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contrepoint, on pourra lire avec délectation le
papier suivant qui en dit long sur la suffisance et
la condescendance de certains initiés > ici
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