Paris l’après-midi c’est comme L’été
à Dresde : la dérive incontrôlée du corps
soumis aux courants singuliers de l’état
amoureux. Singularité forcément exemplaire dont,
à l’infini, la fiction – celle de Philippe
Vilain en particulier – s’acharne à décoder
les formes. Aussi, de livre en livre, redécouvre-t-il,
dans l’éprouvement concret de sa chair, les
marges du roman courtois. Car si l’amour vaut tant
de peine littéraire,
c’est précisément pour ce qu’il révèle de la
nature humaine en ses conditions d’exercice. Par
la disposition de sa toile progressive sur le corps
du sujet, l’amour force au redéploiement d’une
géographie personnelle autant que générale
(disons : spatio-temporelle) ; Il malaxe la mémoire,
qualifie le temps, surprend : «
Il est étrange de se dire que notre avenir se
compose de passés et de secrets qui, comme des
bombes à retardement, attendent d’être révélés
» affirme Vilain sans pathos ni tragédie mais
avec la distanciation propre, en effet (voir la
quatrième de couverture), à une certaine tradition
du moralisme à la française.
Expérience à vif, Paris l’Après-midi cherche donc, comme un jeu de miroir, à
serrer l’attention dans une toile close, formée
par la science d’une écriture réflective,
factuelle et analytique, qui avance tout en
reculant. L’obsession de Philippe
Vilain romancier sera, une fois encore, de se
penser, en tant que sujet principal certes, mais
sans figure de style, dans la seule optique assumée
de faire émerger, au terme de l’expérience, un début
de logique - ambition sans doute illusoire. Un acte
poétique en somme, qui bat les cartes, ébranle les
certitudes. S’y niche aussi un discours de la méthode
applicable au geste artistique comme à n’importe
quelle situation (le cas Flore
Jensen, ici) : vivre pour penser. Pas d’épanchement
factice ni de rancœurs faciles type roman
de gare ; Il ne s’agit pas non plus de désigner
une victime et son bourreau, sinon l’un et
l’autre, à tour de rôle. Car tel est le destin
des êtres vivants, un narrateur amoureux, une Flore
étrangère.
Nouveau portrait de femme après l’Elisa
allemande, Flore la nordique incarne cette nuance inédite
d’une figure adultère, ouverture implacable sur
des abîmes en cascades de trahisons, de
faux-semblants, d’échecs et de malentendus.
Ballotté, Philippe
Vilain narrateur se laisse porter ; les routes
sont mornes, c’est l’enfance, l’Italie, le
monde, la traversée inattendue de zones troubles de
sa mémoire dont il se voulait débarrassé, comme
ces quartiers parisiens dont il évite la fréquentation.
La violence des chocs perçus par les corps détonne
dans un univers d’apparence froide. On repense,
par exemple, à cet autre trentenaire de la littérature
française (Eric
Laurrent) qui, voici quelques mois, surnageait
à peine après le souffle Clara Stern. Même cause,
mêmes effets ou presque. La somme des incompréhensions
finit par l’emporter, et la vie - indéchiffrée -
s’écrit encore et toujours malgré soi.
Christophe
Malléjac
Date de publication : 1er
septembre 2006
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