Pour être honnête et objectif, il convient dans un
premier temps de rappeler que le livre dont il est
ici question a une bonne soixantaine d’années. En
effet, il a paru pour la première fois aux
Etats-Unis en 1940. Il ne sortira en France que
vingt et une années plus tard. Nous avons donc
affaire ici à une nouvelle édition.
Resituer l’époque de sa parution permettra sans
doute de voir en ce roman policier et fantastique de
bonne facture classique, mais efficace, une métaphore
sur une actualité tourmentée. Nous y reviendrons
un peu plus loin.
Will
Barbee, journaliste à L’Etoile de Clarendon, est
chargé d’écrire un papier sur le retour d’une
expédition asiatique d’une petite équipe de
scientifiques qu’il connaît fort bien,
puisqu’il avait souhaité en faire partie lui-même
dans le passé, sans que cette requête soit acceptée
par le vieux docteur Mondrick. Celui-ci à sa
descente d’avion s’apprête à des révélations
de tout premier ordre qui pourraient bien changer le
cours de l’humanité. Dans l’attente de leur
arrivée, Barbee fait la connaissance d’April
Bell, elle aussi journaliste, nouvelle recrue d’un
concurrent. Immédiatement tombé sous le charme,
Barbee lui livre quelques renseignements sur le
docteur et ses amis, ainsi que sur l’objet de
leurs travaux. La conférence de presse laborieuse
et hésitante est soudain stoppée par la mort
subite de Mondrick. Barbee, interloqué et curieux,
se charge d’en trouver les causes et est bientôt
pris dans un tourbillon où se mêlent rêves et réalités.
Jack Williamson,
par ailleurs réputé comme un des fondateurs de la
littérature de science-fiction – on lui doit
notamment Les Humanoïdes – donne un caractère
résolument fantastique à ce roman haletant qui
vous tient jusqu’à la dernière page. Il sait décortiquer
les états d’âme et les humeurs de Barbee, son
personnage central, solitaire et alcoolique, tiraillé
entre son esprit pratique et son attirance amoureuse
vers un monde onirique où affluent des lycanthropes
assoiffés de vengeance et de reconnaissance.
Bien
sûr, il faut accepter cette part d’irrationnel,
propre à ce type de littératures. Mais Williamson
maîtrise suffisamment bien son sujet pour le rendre
cohérent et palpitant.
Cette
lutte présentée de deux mondes, schématisant en
sorte celle ancestrale et manichéenne du Bien et du
Mal, prend après coup un écho étrange quand on a
en mémoire l’actualité horrifique de cette époque
et le développement des thèses eugénistes de
Hitler. Dès lors, le roman de Williamson
peut être aussi vu comme une parabole sur la folie
de certains hommes et leur idée folle de race supérieure
et dominante.
Plus simplement, on peut aussi dévorer ce roman
comme un bon bouquin de suspens, qui sait ménager
ses effets et tenir son lecteur toujours surpris.
Privilégiant les dialogues plus que les
descriptions, Plus noir que vous ne pensez
constitue un excellent moment de lecture, idéal
pour un bel après-midi d’été ensoleillé.
Patrick
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