Le nouveau livre d’Eric
Chevillard possède la pureté et le tranchant
du diamant. Pureté de l’écriture, tranchant du
propos. Un bijou, donc, mais sans ruban rose autour.
Scalps
est un recueil efficace et mordant de sept
textes brefs, qui claquent comme autant de coups de
fouet, qui attrapent au lasso des personnages croqués
sur le vif… et que l’auteur laisse d’ailleurs
plus morts que vivants. Pourtant, pas d’Indien ni
de cow-boy dans Scalps,
mais des mots comme des trophées, qui exécutent véritablement,
qui cernent chacun des protagonistes d’un œil acéré
comme un scalpel, justement.
Les nouvelles qui composent ce drôle de western
sont autant de mises à mort des travers de notre
société incarnés par des êtres décrits avec précision
et férocité, avec drôlerie et stupéfaction.
Spectateur de la connerie humaine rencontrée ici et
là, l’écrivain oscille entre moquerie et
perplexité profonde, entre rire incontrôlé et sidération.
Un
nommé Faldoni,
montagne de suffisance et de bêtise ; un homme
dont la fierté terrifiante est d’avoir, enfant,
passé son temps à jeter des taupes dans le jardin
de son voisin, un certain Samuel
Beckett ; un vieil écrivain qui dédicace
son dernier livre dans une librairie, à des
lecteurs aussi confits que lui ; un professeur
qui confond deux de ses élèves et appellent
toujours l’une du nom de l’autre, comme des
enfants interchangeables, jusqu’au décès de
l’une d’entre elle… Autant de cibles pour Eric
Chevillard, autant de victimes. L’auteur
observe cette humanité dérisoire comme caméra à
l’épaule, tourne autour de chacun et le détaille
avec une drôlerie irrésistible et une cruauté
jubilatoire.
Rien
ni personne n’échappe à son objectif insistant,
il vire comme un rapace autour de sa proie avant de
fondre sur elle toutes griffes dehors, ironie
cinglante au bec. Avec un sens aigu de la
description assassine, autant que de la formule qui,
en deux mots, donne le coup de grâce final, Chevillard
écrit ici une charge incisive contre ces êtres
qu’on a tous croisés un jour ou l’autre, et
dont la stupidité crasse autant que l’aplomb font
rire nerveusement…
Consumérisme
à tout crin, besoin suspect de régression,
individualisme béat, autant de tares sociétales
passées au crible des mots. Mais façon Chevillard :
le propos, si juste, n’est jamais moralisateur,
supérieur ou amer.
Pour preuve, la lecture de Scalps se clôt sur la nouvelle titrée « une rencontre »,
qui débute ainsi : « Comme il est niais,
le visage qui n’a jamais rencontré le poing ! ».
Et la dernière phrase en est : « Un
jour, j’ai eu cette chance, moi qui vous parle. Au
détour d’une rue, mon visage a rencontré le
poing. »… Fier, scalps à la ceinture, on
rentre finalement chez soi le visage amoché :
on est sans doute toujours le con de quelqu’un. Et
c’est ainsi que Chevillard
est grand.
Christelle
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