roman

Adam Haslett - Vous n’êtes pas seul ici   

Éditions de L'olivier  - 256p, 21€ - 2005

 

 

    

    Un titre qui claque comme une affirmation, et qui agit comme un baume protecteur, une pommade adoucissante sur l’âme des personnages de ce recueil de neuf nouvelles et à travers eux sur celle de tout lecteur tant soit peu sensible. La promesse d’une compréhension possible, d’une empathie revendiquée, c’est ce que distille tout au long de ses deux cent cinquante et quelques pages le premier ouvrage de Adam Haslett, qui arrive en France précédé d’une aura presque suspecte, accompagné des recommandations laudatives de Jonathan Franzen, encensé par une critique unanime. Ne tergiversons pas davantage : le coup d’essai de Haslett, trente-quatre ans, avocat de son état qui poursuit des études de droit à Yale, est un coup de maître. Vous n’êtes pas seul ici fait incontestablement partie des livres qui comptent, qui vous remuent salement, ceux dont on ne sort pas tout à fait indemnes, en s’excusant de cette formule galvaudée et sur-employée.

 

    Donc neuf nouvelles qui mettent en scène des personnages dont le point commun est l’absence au monde et aux autres, provoquée par la maladie mentale, dépression ou pire encore, résultat de souffrances, de pertes non acceptées, de peines insurmontables. Quelques-uns sont gay, comme Graham (Notes pour mon biographe) dont le père vieil excentrique mythomane, indifférent et égocentrique, réapparaît au bout de nombreuses années sans se préoccuper des sentiments de son fils ; comme Owen (Dévotion) qui a aimé le même homme que sa sœur ; comme James atteint du sida (Réunion) incapable de parler de son mal hormis à une prostituée rencontrée par hasard lors d’un dîner et qui s’enferme dans une solitude abyssale.

D’autres sont encore des adolescents dont la vie déjà fout le camp : ce jeune garçon dont les parents sont morts à peu d’intervalle ne peut continuer à exister que par une recherche obsessionnelle de violence et de coups perpétrés sur lui (Le commencement du chagrin, la nouvelle la plus dévastatrice du recueil) ; Samuel un collégien anxieux qui pressent des événements tragiques et tisse à son insu un lien viscéral avec son père (Prémonition) ; Ted un étudiant devenu Le bénévole pour un institut se lie d’amitié avec Elisabeth une femme dépressive et s’invente une mère de substitution tout en vivant sa première histoire d’amour.

Des malades à la vie bancale, marquée par la douleur et la démence avec les médecins ou les organismes qui vont avec. Lesquels thérapeutes ne sont guère mieux lotis : Franck (Le bon docteur) offre son temps et son écoute à une femme ravagée par la mort de son fils. Mais parfois les docteurs même bons sont insuffisants à soigner ces étranges malades, à l’image de Paul professeur américain totalement perdu dont le salut, le retour à la vie passeront par un don de soi-même absolument bouleversant (La fin de la guerre).

 

    Situées aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, ces nouvelles sont émaillées de lettres, d’une ébauche testamentaire, de rapports médicaux pour un ancrage dans le réel. L’emploi alterné du « je » et de la troisième personne nuance l’appropriation des personnages par l’auteur qui multiplie aussi les ambiances et les atmosphères. Vous n’êtes pas seul ici magnifie la tristesse et l’impossible consolation de ses protagonistes, pathétiques et bouleversants. En habile marionnettiste, Adam Haslett en tire les fils ténus et offre son épaule compassionnelle à ces désespérés de la vie, effrayés par leur propre sort, leur abandon, leur solitude. En transformant le pas du titre en plus, il laisse entrevoir la possibilité d’un soulagement et, plus prosaïquement, l’émergence d’un très grand écrivain.

 

Patrick Braganti

 

Date de parution : 14/01/2005

 

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