On se souvient de la séquence d’ouverture du chef
d’œuvre de Sergio Leone (« Il
était une fois dans l’ouest »), ces dix
longues minutes où quatre hommes attendaient dans
une gare de rase
far-west. Aucune action, sinon justement le son
entêtant d’une girouette rouillée, le vol
d’une mouche troublant la sieste, le goutte-à-goutte
d’une légère fuite d’eau.
De
Leone, inventeur et ultime bâtisseur de ce que par
commodité on appela « western spaghetti », Serge Daney écrivait en 1969 :
« La
force des films de Leone est d’exténuer la rhétorique
habituelle du western de faire de la surenchère
l’équivalent d’une négation ». Le
western venait alors –l’avenir l’a confirmé-
d’atteindre sa limite, celle au-delà de laquelle
il devenait impensable de s’aventurer, sauf à
verser (ce que l’économie du cinéma n’autorise
pas) dans des expériences auteurisantes.
C’était sans compter sur Christine Montalbetti
et, donc, sur la littérature. Car telle une
cow-girl faisant irruption dans le saloon enfumé de
ce monde macho, cette spécialiste (fumeuse de
gauloises brunes) des questions de narration vient
avec sa langue fouiller –sonder- la profondeur du
monde. Sa langue est somptueuse, elle ouvre de
multiples champs baroques dans la description
minutieuse de ce qui d’ordinaire va de soi, ce que
l’on passe, inattentifs, le plus souvent sous
silence. Il y a du Pascal dans cette attitude : « Je lui veux peindre non seulement l’univers visible, mais l’immensité
qu’on peut concevoir de la nature dans
l’enceinte de ce raccourci d’atome ».
Son
procédé est simple : partir du genre ultra
codé qu’est le western et le décliner en quatre
actes (« Sous
l’auvent », « Chez
Dick et Ted Lange », « La
sieste », « Le
duel »), chacun subissant à son tour une
sorte de dérèglement interne et jouissif, où des
évènements sans surprise se déploient de façon
surprenante.
Procédé
certes simple mais pour l’éclat duquel un style
s’impose. Celui de Christine Montalbetti se
déploie dans des phrases longues et nouées, des
plans-séquences (pour reprendre –ce qu’elle
fait volontiers- le vocabulaire du cinéma) tirant
vers l’abstraction. Lecteur, tu ne risques
pourtant pas de t’y perdre ni de fuir effrayé.
Car elle sait t’aiguiller (« Je
suis sûre allons que vous n’avez pas à chercher
bien loin pour extraire de votre mémoire un épisode
de cette espèce » « il s’agit du passé de notre héros et vous n’êtes pas prêt à ce
qu’on vous tienne à l’écart ») te
rassurer (« allons, laissez-vous faire, quittez cette raideur, allons, voilà, tout
doux, tout doux, votre corps plus mou, plus passif
encore (…), je m’occupe de tout, en essayant de
ne pas peser, de vous laisser simplement, non pas dériver
(…) mais faire la planche, sur ce courant mesuré,
et dont je m’assure, c’est ma tâche, qu’il
vous mènera là où il faut »), te
conseiller parfois (« ceux
que la vie des animaux n’intéresse pas peuvent se
rendre directement et sans dommage à la page 19 »).
D’où notre brusque intérêt pour la
microchirurgie des événements . La fusion
prend, on en vient à se passionner, tenez, pour les
aventures d’une toute petite goutte d’eau.
Mais la virtuosité de ce roman (qui –voilà sa
force- n’est pas du western
écrit mais une prolongation littéraire ou,
plutôt, une réinvention (on est loin du pastiche)
du genre) serait tout à fait vaine si elle devait
s’appliquer sur le vide (ou la répétition) de
figures convenues.
Or,
ce que subrepticement et pour le coup sans mise en
abîme excessive, Christine Montalbetti dépeint,
c’est la sécheresse étouffante d’un monde où
l’inaction tient lieu d’action, où en somme il
ne se passe pas grand-chose. L’état de cow-boy,
nous dit-elle en substance, est une longue
trajectoire d’errance où la survie ne tient que
par l’effacement de trop d’altérité, de toute
mémoire, de tout lien, où seul le rêve, omniprésent
(par le sommeil ou parfaitement éveillé) mais
secret, délivre des poches salvatrices d’air
frais. Combien de fois, tout au long du livre, les héros
plongent-ils leur regard et leur pensée dans les
perspectives colorées d’une toile de Jouy, d’un
tableau champêtre, d’une musique -bref, de
tout ce qui sait véritablement
leur parler ?
On ne peut que conseiller ce livre à tous ceux,
toujours trop nombreux, qui ne croient pas (ou plus)
en la littéraire. Car en ce domaine, la foi de Christine
Montalbetti n’est plus à démontrer. Son
immense mérite, d’en être le meilleur des apôtres.
Christophe
Malléjac
Date de
parution : janvier 2005
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www.pol-editeur.fr
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