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Sekikawa & Taniguchi - Au temps de Botchan t.3  

Le seuil, 280p, 15€ - 2004

 

 

 

    Comme chaque année, Le Seuil publie un nouveau tome de au temps de Botchan, série dressant un panorama littéraire, moral et culturel de l’ère Meiji, avec Natsuo Sekikawa au scénario et l’illustre Jirô Taniguchi au dessin. Ce troisième tome se concentre tout particulièrement sur deux écrivains, Futabatei Shimei, auteur de Nuages à la dérive et l’un des créateurs du roman japonais moderne, et surtout Mori Ogai, auteur de la Danseuse et l’un des plus grands écrivains japonais de l’ère Meiji. Comme chaque fois, de nombreux thèmes sont évoqués, avec comme fil conducteur ce qui fait l’essence même de l’époque, à savoir toutes les contradictions, toutes les inquiétudes, toutes les tensions inhérentes à l’ouverture du Japon à l’Occident.

 

    Il faut d’entrée prévenir le lecteur : Au temps de Botchan est une lecture exigeante, sur de nombreux points, et demande une participation active, tout particulièrement pour l’amateur européen. Tout d’abord, le contexte historique, culturel, les personnages historiques sont a priori certainement peu connu du public occidental, sans pour autant toutefois que la lecture soit hermétique. Ensuite, les auteurs ont un malin plaisir à disséminer de nombreux flash-back, naviguant entre plusieurs périodes différentes. La narration apparaît ainsi particulièrement ingénieuse et habile, mais elle peut désorienter le lecteur trop peu concentré. Pour autant, si l’œuvre est incontestablement exigeante, elle n’en demeure pas moins indispensable.

 

    En premier lieu, le trait de Jirô Taniguchi, clair et précis, et certainement familier du public francophone désormais, convient admirablement pour illustrer l’ère Meiji. C’est un véritable régal pour les yeux que d’admirer les costumes de l’époque, les moustaches des officiers ou des écrivains ou encore la reconstitution des villes. Plus que cela, on a l’impression que le dessin du maître japonais convient parfaitement pour donner corps à l’atmosphère, l’ambiance, le climat qui prévalaient alors. Difficile, dès lors, pour le lecteur, de ne pas réussir à s’immerger pleinement dans l’histoire, en dépit des repères culturels et historiques qui peuvent éventuellement manquer. On peut également remarquer un trait scénaristique assez flagrant, qui est une des sources de la réussite et l’œuvre et contribue à alimenter l’excitation du lecteur : les auteurs prennent un malin plaisir à se faire constamment rencontrer les grands personnages célèbres de l’époque, notamment de manière fortuite avant qu’ils deviennent connus. Ainsi, le lecteur a tout simplement l’impression d’assister à des moments véritablement historiques.

 

    Ensuite, à travers le récit d’un amour impossible entre une danseuse allemande et Mori Ogai, alors officier de l’armée japonaise, les auteurs continuent à recréer cette époque de transition, particulièrement féconde, particulièrement troublée, sur les plans culturels et moraux. On nous présente ainsi une élite japonaise consciente de son retard technologique et scientifique face à l’occident, et qui essaie de moderniser son pays sans trahir ses valeurs, son histoire, son honneur. C’est évidemment sur le plan des valeurs collectives et morales que la confrontation se fait le plus largement sentir. A ce titre, l’histoire centrale de ce tome, montrant le poids toujours supérieur de l’entité collective (famille et patrie) sur l’individu est une illustration frappante, tant le héros reste en proie au doute. L’Occident et la modernité n’apportent pas seulement les innovation scientifiques mais aussi l’importance des sentiments et des choix individuels et finalement une certaine primauté à l’individu sur le collectif. A cela, l’homme de lettres trouve une parade en vivant alors en rêve sa réalité dans ses œuvres, en exprimant pleinement son égoïsme et donc la force de ses choix propres dans la littérature.

 

    Sans doute pas aussi facile d’accès que les autres œuvres de Taniguchi parues en français, au temps de Botchan demeure néanmoins une lecture fascinante et forte. L’ambition des auteurs était particulièrement importante pour mener à bien un tel projet et on peut aisément affirmer que le résultat est pleinement à la hauteurs des espérances. Au temps de Bochan ne plaira certainement pas à tout le monde, mais ceux qui y adhèreront y trouveront alors une source d’enrichissement véritable. A ce titre, ce tome trois demeure tout à fait aussi réussi que les précédents et mérite amplement que l’on s’essaie à la seule « manga littéraire » disponible dans nos contrées.

 

Vincent Monnoir                                                    

 

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