Il
y a quelque chose d’un peu obscène dans la façon
dont, s’emparant de Infernal Affairs,
Martin Scorsese ne livre au final qu’un long
thriller classique, copie quasi conforme de
l’original. Rien ne s’opposait pourtant au
projet : à l’instar du Jazz, l’histoire
du cinéma s’est bâtie sur quelques thèmes élémentaires
joués, rejoués, transformés au gré des
singularités propres à chaque artiste. À
Boston, à cheval sur les clans mafieux ritals et
irlandais, Scorsese avait pourtant le champ libre
à l’expression de ses vieilles obsessions,
historiquement déjà datées (nouveaux
mode de grande délinquance, irruption de réseaux
mafieux) mais filtres idéals pour
d’autres questionnements – religion, vie,
mort, identité, déclin, vieillesse – et symptômes
évocateurs d’une modernité universelle.
La
situation est complexe car, pour qui n’aurait
pas vu l’Infernal Affairs HK, Les
Infiltrés offre un paquetage intelligent et
enlevé – sans doute trop, où la touffeur scénaristique
forme une contrainte évidente à l’intrusion de
la caméra par-delà la façade noisy du
premier jet. Il est frappant de constater que, même
diminué - ici comme au temps de son autre remake
(« Les nerfs à vif ») -,
Scorsese écrase la concurrence occidentale, jeune
ou ancienne, sachant d’ailleurs discrètement
insuffler à ses films les ressorts contemporains
- dont une certaine idée de la vitesse pure,
troquée contre ses légendaires travellings –
imprégnant du même coup son cinéma d’une réelle
efficacité entertainment au détriment –
faute de place – d’éléments plus réflectifs.
Si,
par exemple, le Catholicisme scorsesien en fait
les frais (réduit ici à une poignée de curés pédophiles),
c’est surtout le sujet de fond des Infiltrés
- Solitude et Identité figurés dans les
corps immaculés de Matt Damon et Leonardo
DiCaprio – qui s’en trouve dévidé. Ni la
place, ni le temps : il se laisse esquisser
à gros traits sans qu’on en saisisse véritablement
l’essence intime. De ce point de vue là, l’Howard
Hughes d’Aviator emportait autrement la
mise, fantôme mythologisé dans sa détresse
à l’écart du bavardage, donc du récit (Pitch,
histoire) lui-même.
Difficile,
dans ces conditions, de saisir les motifs d’un
tel projet. Récupération facile un peu rapace (réduisant,
à l’intérieur même du film, la figure
asiatique à un simple gesticulateur hystérique
que Nicholson remet au pas en élevant la voix),
geste qui s’auto-neutralise dans la paraphrase
bavarde (parallélisme des structures, de
l’utilisation de la musique, de plusieurs scènes
malgré une fin plus « politiquement
correct » cette fois), malle aux trésors
pour réalisateur à court d’idées.
L’histoire a montré combien Scorsese, forçant
les limites de son art, savait débroussailler des
voies qu’emprunteraient ensuite – avec plus ou
moins de pertinence – de nombreux cinéastes.
Inversion de tendance, donc, en 2006. Des Infiltrés
mineurs dans un parcours majeur, au fond, ce
n’est pas très important.
Christophe
Malléjac
Film
américain – 2H30 – Sortie le 29 Novembre 2007
Avec
Matt Damon, Leonardo DiCaprio, Jack Nicholson
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