Entretien
avec Jean-Pierre Sinapi
Réalisateur
depuis 1996 avec seulement trois films à son actif
(un
arbre dans la tête, Nationale 7 et le récent Vivre
me tue) Jean Pierre Sinapi, fils d’ouvriers lorrains,
(devenu ingénieur
électronicien puis scénariste pour la télévision)
au
regard sensible et pudique revient
sur la genèse et le tournage de son dernier film.
Pourquoi avoir choisi d’adapter ce roman de Paul Smaïl
? Qu'est ce qui vous a séduit dans ce livre ?
Jean
Pierre Sinapi :
La révolte de la jeunesse qui y est exprimée à travers
le personnage de Paul, amoureux de la vie, des femmes et
de la littérature, et qui a tant de mal à trouver du
sens à l'existence en général et à la sienne en
particulier, m'a dans ce livre ébloui. Je m'y suis en
quelque sorte retrouvé. Mais avec vingt ans de plus au
compteur…
Vous avez développé l'histoire d'amour de Paul avec Myriam,
qui était à peine évoquée dans le livre. Pour
quelles raisons ?
Myriam dans le livre est un personnage attachant mais sans
épaisseur. Il fallait donc scénaristiquement le développer,
d'autant que c'est la Femme de l'histoire. J'ai pris
avec ce personnage beaucoup de liberté par rapport au
livre. Elle était vendeuse en librairie, place des
abbesses à Paris. J'en ai fait une étudiante en lettre
qui vient de Lens, de milieu ouvrier, et bien sûr, fan
du RC Lens que moi-même j'aime beaucoup.
Comment avez vous choisi vos trois acteurs principaux ?
En
fait j'ai écrit surtout pour Sami Bouajila et Sylvie
Testud. Pour le
personnage de Daniel-bodybuilder, j'ai d'abord cherché
longtemps un vrai bodybuilder capable d'interpréter le
rôle. En vain.
Jalil Lespert est totalement transformé.
Pourquoi a t-il accepté une telle transformation
corporelle (est-elle réversible ?) ? Avez vous eu recours à des
effets spéciaux pour lui ?
Jalil
a accepté de faire neuf mois de Body-building, à
savoir 4 jours par semaines, 4 heures par jour à
pousser de la fonte, associé à un régime alimentaire
éprouvant : riz, blanc d'œufs, poulet sans sauce, pas
d'alcool, etc… Il a accepté ce pari fou, car il est
comédien, et les comédiens sont cinglés. Par ailleurs
il avait confiance en moi, et en ce projet. Sa performance
est digne de celle de Robert De Niro dans Raging Bull de
Martin Scorsese. Bien sûr, pas d'effet
spéciaux, ni aucune
dope d'aucune sorte. Il était sous la houlette d'un
champion de France de culturisme et non de
body-building.
Le déroulement du film non chronologique fait appel aux
flash-back rendant parfois la compréhension difficile.
Pourquoi ce choix ?
Tout le film se passe dans la tête de Paul qui vit une
terrible souffrance, celle de savoir que son frère va
mourir. Il repense alors à sa vie avec lui. Les
souvenirs remontent. Et pourquoi reviendraient-ils dans
l'ordre chronologique ?!
Voilà pourquoi j'ai pris le risque qu'au départ le
spectateur soit un peu perdu, dans la confusion, en
danger. Tout cela se réorganise au fur et à mesure que
l'on avance dans le film.
Du fait que les protagonistes soient deux beurs en
difficulté d'insertion, avez vous souhaité donner à
votre film un aspect politique ? Et de manière plus générale,
que pensez vous du cinéma politique, social ou militant
en France ?
Vivre me tue
n'est pas un film politique, ni militant, ni social. Même si tout
cela y est contenu. Pour moi c'est un film sur l'être
humain en quête de soi. C'est-à-dire à la recherche
de sa propre vérité. Si je devais qualifier en un mot
mon cinéma, je dirais quand même que c'est un cinéma
d'engagement, de regard, oui. Vivre me tue est un film
qui j'espère a une vraie nécessité d'exister.
Quels sont vos projets ? Avez vous envie d'adapter
d'autres livres ?
Je préfèrerai revenir à des sujets originaux. C'est bien
plus facile à écrire. Mais j'ai beaucoup de projets,
et parmi eux aussi des adaptations.
Propos
recueillis par Patrick - juin 2003
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