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Entretien avec Sufjan Stevens

 

 

 

Cet homme est peut-être fou. Génialement fou. Après deux premiers disques passés assez inaperçus en Europe, Sufjan Stevens a lancé l’an passé son projet pharaonique d’écrire un album pour chacun des cinquante états des Etats-Unis d’Amérique.

Première disque (et première merveille) : le Michigan en 2003 ("Greetings From Michigan: The Great Lakes State"). Après l’intermède "Seven Swans" de cette année, notre homme va s’attaquer prochainement à l’Illinois.

Alors que l’on en salive déjà à l’avance, Sufjan Stevens, de passage dernièrement à Paris, a bien voulu répondre aux questions de Benzine. Rencontre avec un homme posé, intelligent et adorable.

 

Quels sont les artistes qui vous ont donné la passion de la musique ?

Honnêtement, j’ai surtout été marqué par la musique classique dans son ensemble quand j’étais plus jeune. De la musique baroque à la musique de chambre. Tout ça quand j’étais petit. A cette époque, j’étais très pointu sur la composition d’un orchestre, sur qui jouait quoi, etc.

Quand j’ai grandi, j’ai découvert la pop music. Et à un moment, dans ma chambre, c’était un peu Wagner contre Wham. (rires)

 

Vous avez lancé un pari incroyable : écrire un album pour chacun des états des Etats-Unis d’Amérique. Cela ne vous effraie t-il pas un peu ?

Pour être tout à fait honnête, ce projet est un peu exagéré. Je devais être fou quand j’ai lancé l’idée (rires). Mais l’idée est là : réaliser un album sur des États, parler de leur géographie, parler de leur histoire.

Les États-Unis sont uniques dans le monde, ils ont été créés par l’immigration. En quelques centaines d’années, ils sont passés de rien à la première puissance économique du monde. Il y a donc beaucoup à dire.

 

Vous avez vécu longtemps au Michigan et vous avez écrit le premier disque de la série sur celui-ci, et ce de manière plutôt intime. Qu’en sera-t-il pour les 49 autres ?

Ecrire sur le Michigan n’a pas été une chose très facile car il m’a été difficile d’être totalement objectif. J’y ai vécu tant de chose, passé tellement de temps. Mais je pense que pour les autres disques, cela sera différent car je me poserai en qualité d’observateur et plus de connaisseur. Même si pour certains états, comme le Massachusetts, New York, l’Oregon ou la Caroline du Nord, vu que j’y ai vécu, cela sera sensiblement différent.

 

Sur Michigan, vous jouez énormément d’instruments. Où avez-vous appris tout cela ?

En fait, je sais bien jouer du banjo, du piano, de l’oboe (que j’ai étudié) et de la guitare. Mais j’ai toujours été fasciné et ambitieux envers les nouveaux instruments et les nouveaux sons. C’est pour cela que je m’essaie à tous.

Pour mon prochain disque par contre, je ne jouerai pas de tous les instruments. Je suis un piètre musicien pour certains instruments et je préfère que quelqu’un qui joue bien le fasse. Cela rendra bien mieux.

 

A propos du prochain disque, quel état concerne t-il ?

Il s’agira cette fois de l’Illinois. Et la tonalité sera différente. Comme je l’ai dit, de vrais et bons musiciens viendront assurer les parties où il y a des instruments que je ne maîtrise pas bien. Il y aura un son plutôt pop, auquel viendront s’ajouter des chœurs, un piano jazzy, etc. Et je ne vous parle même pas de la batterie qui est tout simplement impressionnante. Pour ce disque, j’ai vraiment essayé de me faire violence et d’aller là où je le souhaitais.

 

La religion semble être quelque chose de très important pour vous. Vous en parlez énormément sur disque, notamment sur Seven Swans

J’ai eu une famille un peu bizarre (sourire). Mon père a eu une éducation catholique. Et pourtant, mes parents étaient dans le trip des seventies, ils suivaient une sorte je-ne-sais-quoi divin. Quand cela a été fini, ils ont cherché, cherché et recherché quelque chose, qui les auraient vraisemblablement aidé.

J’ai donc toujours eu une relation bizarre avec la religion. Mais de toutes, aux Etats-Unis, la plus ambiguë reste tout de même la religion catholique car elle est très liée au gouvernement.

 

A propos des Etats-Unis et de la politique, que pensez-vous des résultats du dernier scrutin, avec la réélection de George « W » Bush ?

Je ne voulais pas de George "W" Bush. Mais il est quand même passé. Je n’ai aucune sympathie pour cet homme. Je ne comprends pas la façon dont il travaille, la manière qu’il a d’exercer son pouvoir. Mais ce que je comprends encore moins, c’est pourquoi il a été réélu. Je me pose souvent la question : « Mais pourquoi les gens veulent encore de George "W" Bush ? Et je n’ai pas de réponse.

Les Démocrates sont plus ouverts au dialogue, aussi bien à l’intérieur du pays que vers le monde. Et bizarrement, j’ai l’impression que les Américains ne sont pas prêts pour cela. On vit dans un monde qui navigue entre l’hyper-réalité et la désillusion, avec Hollywood, la télévision à outrance et la télé-réalité en toile de fond. Et je vous avouerai que tout cela me rend un peu nerveux.

 

Pour en revenir à la musique, Michigan a été très bien reçu en Europe. Certains journaux (les Inrocks, nda) n’hésitant pas à dire que ce disque était un tournant dans l’histoire de la folk musique.

Ca me fait effectivement plaisir même si je trouve ça bien trop exagéré. Vous savez, au jour d’aujourd’hui, les "songwriters" sont de partout. Il y en a beaucoup trop. Il y a beaucoup trop de gens qui jouent le même truc entendu mille fois. Et je pense que des qu’on n’est plus dans cette catégorie, on a l’impression que l’on fait avancer le schmilblick

La folk musique n’a pas connu de révolution depuis la fin des années 60. Il faut donc qu’il se passe quelque chose, qu’il y ait une vraie évolution.

Aujourd’hui, sur la scène indépendante, on retrouve des artistes sophistiqués et bourrés de talent : Devendra Banhart par exemple dont les disques sont très bons ! On pourrait également citer Nick Talbot (aka Gravenhurst, nda).

 

Mis à part ce pharaonique projet de 50 disques, avez-vous d’autres ambitions ?

En fait, ma première ambition, mon premier amour a été les romans de fictions. J’ai toujours adoré cela. Aujourd’hui, je suis en train d’en écrire un. Pourquoi pas avant ? (sourire). Parce que je suis un peu feignant par moment. Et surtout parce que si la musique est ce que je sais faire le mieux, l’écriture était un désir secret, désir que je suis en train d’assouvir aujourd’hui.

 

On parle beaucoup aujourd’hui de la crise de la musique et du coupable tout désigné : le peer-to-peer. Quel est votre opinion à ce sujet ?

Personnellement, je n’ai pas du tout de problème avec cela. L’industrie de la musique si. Mais ça ne peut-être que bénéfique au final. Aujourd’hui, la musique est devenu un vrai business et on a mis l’artistique de côté : les majors connaissent de gros problèmes. Mais les labels indépendants se portent plutôt bien, en misant sur une qualité artistique. Le système est peut-être en train de se renverser.

Concernant le peer-to-peer, je pense qu’il peut-être très important dans certains cas, notamment pour des artistes ou des labels qui n’ont que très peu de moyen pour communiquer et qui trouve ainsi une manière d’exister.

 

Propos recueillis par Olivier Combes

Décembre 2004

 

Discographie :

(2000) A sun came

(2001) Enjoy your rabbit

(2003) Greetings From Michigan: The Great Lakes State  

(2004) Seven Swans

 

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