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les chroniques d'
albums
Disséminé
aux quatre coins de la France (et même en Belgique), le label Another record détonne
par la qualité des artistes qu'il produit et par l'ouverture
musicale dont il fait preuve à travers ses différentes
sorties. En plus de proposer un site avec des infos
très complètes sur ses groupes, il met en ligne de
nombreux MP3 pour découvrir ces formations au noms
énigmatiques que sont Lunt, The
Wedding Soundrack ou encore Half Asleep.
Rencontre
avec Delphine Dori, membre active et
co-responsable du label.
Depuis
quand le label existe t-il ?
L'association
existe officiellement depuis 3 ans, mais nous ne nous
sommes consacrés sérieusement à l'activité
discographique que depuis 1 an.
Combien
de personnes s'occupent du label ?
On
est 5 à s'occuper du label… Nous sommes avant tout
des amis, qui développons chacun notre propre projet
artistique. Another Record peut être considéré
comme une communauté d'artiste. L'amitié et la création
sont le ferment de notre activité.
Pourquoi
crée t-on un label aujourd'hui ?
On
crée un label parce que quand on aime la musique par
dessus tout et que ça fait partie intégrante de sa
vie, il y a un moment où c'est trop frustrant et où on
ne peut pas se contenter d'être un simple consommateur
de musique. Alors, on a besoin de s'impliquer dans une
activité comme le label pour, non seulement donner un
sens à sa passion, mais aussi pour travailler avec des
gens qui partagent notre même sensibilité. C'est ce
qui est beau dans un label : mettre en commun nos
forces, nos énergies, notre passion, pour défendre la
musique qu'on aime, la faire partager au plus grand
nombre possible et faire en sorte que les mélomanes se
rencontrent par ce biais.
Quand
on écoute les différents artistes sortis sur another
record, il est impossible de définir un son proprement
dit, une ligne musicale claire. Malgré tout on remarque
un certain sens du beau, de l'esthétisme musical sur la
plupart des artistes. Est-ce voulu ? En avez-vous
conscience ?
C'est
vrai que tout ce qu'on a sorti est très différent…
En effet, on trouve dans nos productions à la fois du
post-punk (Gâtechien), de l'expé (Lunt),
du post-rock noisy (Gina Artworth), du slowcore (Half
Asleep), du post-folk (Dana Hilliot, the
Wedding Soundtrack), de la pop (Jullian Angel,
All the Living and the Dead)
Bref,
on n'est pas facile à étiqueter, et de toute manière
être rangé dans un carcan précis, ce n'est pas notre
truc. On aime la musique avant tout, pourvu qu'elle soit
honnête, sincère, brute, originale, émouvante, et
belle. Après, peu importe le style. Mais c'est vrai
qu'on aime avant tout les songwriters et le courant folk
alternatif en général. C’est ce qu'on risque de
sortir le plus à l'avenir. Mais à travers Gina
Artworth et Gâtechien, qui sont un peu des
exceptions dans le catalogue, (puisque ce sont des
musique qu'on pourrait qualifier de noisy, même si ça
reste très mélodique), on a voulu défendre une
musique dont on est fan. Ca sort directement des tripes,
c'est fait sans calcul, sans artifice… c 'est ce qu'on
aime surtout.
Qu'avez-vous
voulu mettre derrière l'appellation another
record ?
Another
record
pour autre musique… une musique qui sorte des sentiers
battus, qui sorte des marges. En plus l'appellation
anglaise sonne bien, c'est compréhensible au-delà des
langages…
Etes-vous
ouvert à tous les courants musicaux ou vous
limitez-vous à une forme de musique particulière ?
Comme
j'ai répondu précédemment, on est ouvert à peu près
tous les courants musicaux. On cherche avant tout à
sortir des artistes qui développent leur univers
particulier. Si c'est pour sortir un groupe qui singe ou
qui parodie Radiohead ou Muse, ça ne nous
intéresse pas. Il y a des majors pour ça… et puis,
on est aussi réfractaire au ska et aux musiques
festives en général. On aime avant tout les musiques mélancoliques.
Car dans le label, on est tous des gens un peu tristes,
un peu tragiques même si on peut avoir aussi de
l'humour cynique…
Avez
vous des critères particuliers pour choisir les groupes
que vous signez ou fonctionnez-vous au coup de cœur la
plupart du temps ?
On
n’a pas de critères particuliers sur les groupes
qu'on signe. Le plus souvent ça marche au coup de cœur.
Prenons Half Asleep par exemple, la première
fois que j'ai entendu la démo, j'ai immédiatement
flashé. J'ai eu des larmes aux yeux, tellement j'ai été
pris et transporté par la musique comme il ne ça ne
m’est pas arrivé depuis bien longtemps. Une maturité
incroyable, un univers tel que je l'ai rêvé. J'ai fait
ensuite écouter le disque à Vincent qui a craqué
aussi. Et puis on l'a fait circuler au reste du label à
qui ça a beaucoup plu également. Et ce qui est génial,
c'est que ça peut plaire même à des artistes qui n'étaient
pas forcément ouverts à ce type de musique lente et mélancolique…
C'est ce qui est génial avec le label, on est 5 à
avoir des goûts assez différents, mais par le biais de
nos discussions chacun s'est ouvert à d'autres styles
musicaux…
Vous
mettez beaucoup de titres en téléchargement libre sur
le site. Pensez-vous que la musique gratuite en ligne a
de l'avenir ?
Oui,
cette stratégie qui consiste à mettre à disposition
beaucoup de titres en téléchargement libre permet de
compenser la faiblesse de nos moyens de production due
à nos finances limitées en terme d'investissement
promotionnel. Le téléchargement libre est un bon moyen
de faire découvrir au plus grand nombre. Comme c'est
impossible que ça devienne une activité rentable vu la
musique que nous défendons, on dissémine la musique.
On ne perd pas d'argent, on démocratise l'accès à
l'Art, qui reste sinon un luxe réservé à un petit
nombre. On ne veut pas restreindre l'accès à la
musique, comme le font les majors qui saturent l'espace
public. On cherche à disséminer au plus grand nombre.
Et tant mieux, si après les gens achètent l'objet, ça
permet de sortir d'autres disques, mais ce n'est pas
notre finalité première. On a une visée qui se
rapproche de la logique du don en ce sens….
Pour
répondre à ta question, sur l'avenir de la musique
gratuite en ligne, je pense qu'elle a du bon et que
c'est sans doute une solution d'avenir : très peu
d'artistes vivent de leur musique, donc ça serait idiot
qu'ils restreignent le libre accès à leur œuvre, d'où
l'intérêt de mettre à disposition de la musique
gratuite. Pour sortir des rouages de certains médias,
il semble nécessaire de mettre à disposition
gratuitement sa musique. Et contrairement aux majors, ce
n'est pas la mise à disposition de titres en téléchargement
libre qui nuit aux ventes, au contraire, ça ne peut
avoir qu'un effet incitatif…La personne peut disposer
de son libre arbitre, savoir ce qui est intéressant
pour elle. Elle ne va plus se fier aveuglément à
l'avis de tel ou tel média pour acheter tel ou tel
disque. C'est œuvrer vers la liberté de l'auditeur et
de l'artiste qui cherche à partager sa musique, car là
n'est-il pas l'intérêt premier de l'artiste : faire
partager sa musique avant tout.
Quel
regard portez-vous sur ces nouveaux labels en ligne
comme autresdirections in music ou evenement0.net
qui ne distribuent la musique qu'en ligne et
gratuitement ?
Démarche
intéressante en effet. Plus il y aura des initiatives
de cette sorte, mieux ce sera pour l'avenir de la
musique indépendante…. Toutefois, il existe certaines
différences dans nos démarches respectives. Notamment
sur le plan du rapport à la légalité. Contrairement
à evenement0 par exemple, nous souhaitons que la
loi prenne en compte notre type de démarche. On s'en
explique dans notre charte. Mais nous oeuvrons dans le même
sens, c'est évident.
Combien
de sorties envisagez-vous pour l'année 2004 ?
Pour
l'instant, on a sorti 4 disques pour janvier : un live
de Gâtechien, qui est un groupe
à aller voir en live de toute urgence. On l'a
fait pour les fans car il y en a beaucoup et pour que
les gens voient l'aspect scénique de ce groupe au
potentiel énorme. Puis il y a eu Lunt, qui est
également chez Unique Record et Architectonic
33 pour le côté expé, électro minimaliste. Et enfin The Wedding Soundtrack,
le projet folk intimiste de Clément Batut, guitariste
des All the Living and the Dead. Trois
sorties sont prévues pour ce printemps (courant mai) : Dana
Hilliot, un disque de collaborations avec quasiment
tous les artistes du label. Un disque un peu enregistré
à la mode américaine, très ouvert, à la Songs:Ohia.
Et puis, Luis Francesco Arena, le projet
intimiste du chanteur de Headcases, un bijou de
toute beauté, et aussi Ludmila, un groupe électro-pop
aux inflexions 80s mais bien plus original que ça. Pour
l'automne, on a quelques projets en cours de route, mais
on ne dévoile rien pour l'instant, surprise...
Toutes
les pochettes de disques ont un même esthétique, une
présentation tout de suite identifiable. Pourquoi ce
choix ?
On
pense qu'un label pour qu'il soit repérable et
clairement identifié doit développer une esthétique
particulière et une entité. Les premiers disques étaient
du pressage, mais on s'est rendu compte que ce n’était
pas viable sur le long terme et comme on voulait sortir
les artistes qui nous plaisaient sans contraintes et
restrictions, la seule solution qui nous était proposé
était de faire du cd-r artisanal. Donc, on s'est dit
qu'on allait sortir du cd-r et pour ça, développer une
entité particulière : Un disque joliment fait par
nos soins, avec une esthétique noire et blanc qui nous
est chère, (Jullian Angel étant la seule
exception à la règle).
Comment
voyez-vous l'avenir du label ?
Vos
projets, l'évolution du label..?
Concernant
l'avenir du label, on n'a aucune idée de la manière
dont les choses vont évoluer. Seul constat, c'est qu'en
un an d'existence, on ne s'est pas tourné les pouces !
On commence à avoir des bons retours, on commence,
petit à petit, à être repéré, on est pris au sérieux,
et ça intéresse des gens notre façon de concevoir la
musique ainsi que l'esthétique qu'on défend. Donc tant
mieux !
Pour
ce qui est des projets sur le court et moyen terme,
primo : on souhaite encore développer des projets
originaux, sortir des premiers disques d'artistes, et
sortir un second album avec les artistes qui le
souhaitent, mais aussi faire des compilations thématiques
à la manière d'Acuarela.
Deusio
: On souhaite aussi développer l'activité concerts,
faire tourner nos groupes, participer à des festivals,
mais c'est difficile de trouver des concerts pour les
groupes qu'on sort. Pourquoi pas créer un plateau another
record ou un festival à terme ?
Enfin,
troisièmement, on ne souhaite pas se limiter à la
musique. Mais on aimerait bien, si la force nous tient
et si on a le courage, développer des projets vidéo :
Pourquoi pas faire des clips de chansons réalisés par
les artistes eux-même ou même concevoir et développer
des objets artisanaux dans la continuité de nos hand-made
disques comme des boîtes pour ranger les disques
fabriqués par certains artistes du label ? Et pourquoi
pas faire une maison d'édition en publiant des écrits
de nos artistes, car pas mal d'artistes s'adonnent à l'écriture.
Voilà quelques projets qu'on aimerait également développer
à l'avenir. En fait, on a tendance à déborder d'idées !!
propos recueillis par Benoît – avril 2004 -
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