Entretien
avec Colleen
Étoile
montante de la nouvelle scène électronica française, Colleen
sort, au premier semestre 2003, un premier album intimiste
et superbe Everyone
alive wants answers. Reconnu très justement
par une partie de la presse, Cécile Schott (de son vrai
nom) revient sur son parcours
la facon de concilier la
musique te travail et sur ses projets.
Qui sont tes héros ? Qui t'a donné envie de faire de la musique ?
je n'ai pas vraiment de héros, bien sûr j'ai été fan de certains groupes quand j'étais plus jeune (par ordre chronologique :
Beatles - Pixies - Sonic Youth) et ce sont vraiment eux qui m'ont donné envie de me mettre à la guitare, jouer dans un groupe, monter sur une scène, mais après 18 ans je me suis mise à écouter trop de musiques différentes pour me focaliser sur un artiste ou groupe en particulier. De même je suis rarement fan d'albums, je préfère souvent quelques morceaux pris dans un album. Cela dit s'il y a un compositeur que je suis sûre d'aimer toute ma vie c'est bach. Pour ce qui a été de me mettre à la musique « électronique » (je mets des guillemets car j'ai du mal à percevoir ce que je fais comme de la musique électronique) il n'y a pas eu d'artiste ou de son particulier, c'était juste un désir général de créer certains sons / atmosphères et de pouvoir travailler seule sans compromis et en toute indépendance.
Pourquoi avoir choisi ce style , cette façon "intimiste" de concevoir la musique ? De quel aspect de ta personnalité ta musique est-elle un reflet ?
je ne pense pas qu'il y ait un lien si direct ou transparent entre ce qu'on fait et qui on est, est-ce qu'on « choisit » vraiment un style ? Des fois j' ai plutôt l'impression que ça marche en sens inverse, que c'est ce style qui m'a choisie. mais c'est vrai que je n'ai jamais aimé la musique gaie pour faire la fête, de même que j'ai tendance à préférer les films qui vont me retourner plutôt que juste me divertir ; je crois que j'ai complètement intégré et accepté ça quand j'ai commencé à travailler sérieusement sur ordinateur. Après il y a des facteurs plus terre à terre, par exemple s'il n'y a pas de rythme (dans le sens de « beats ») dans ma musique, c'est dû à la fois au fait que je suis davantage attachée à la mélodie, et aussi au fait que je sois nulle en rythme, que je déteste les choses techniques, et donc au fait que je ne sache tout simplement pas « faire » de rythmes. Je préfère laisser ça à ceux qui ont des dons pour cet aspect de la musique.
Je crois savoir que tu es professeur... Tes élèves sont-ils au courant de tes activités extra-scolaires ? As-tu le sentiment de mener une double-vie ?
Mes élèves n'en savent rien, peut-être qu'un jour l'un d'eux découvrira quelque chose en lisant un magazine mais je doute que leurs lectures soient celles où l'on pourrait lire mon nom, en tout cas ce n'est certainement pas moi qui vais leur dire quoi que ce soit, je trouverais ça assez déplacé. Pour la double vie j'ai effectivement ce sentiment là, qui va aller en s' accentuant j'en suis sûre étant donné que les choses se sont grandement accélérées depuis trois mois. Des fois j'ai un peu peur de ne pas arriver à tout gérer, mais de toutes façons je ne vais pas avoir le choix. Mais je pense que l'un et l'autre s'équilibrent bien : je n'ai pas envie d'être dans un monde où tout ne tournerait qu'autour de la musique, j'aurais l'impression de faire un travail et d'avoir une obligation de création, je me poserais des questions sur des choses qui n'auraient d'intérêt que pour moi-même, alors que là le fait d'aller travailler, de faire face à 150 jeunes qui dans l'ensemble n'en ont pas grand-chose à faire de ce que je peux avoir à leur apporter me permet de garder les pieds bien sur terre et surtout de voir un peu plus loin que mon nombril. En plus il y a des moments très beaux dans le métier d'enseignant, des élèves vraiment super gentils qui contredisent l'idée que certains se font d'une jeunesse forcément bête et malpolie. En fait ce métier rend très tolérant, je crois que sinon on ne peut pas l'exercer. Par ailleurs j'ai un côté un peu saint-
Bernard, je crois que j'aime bien aider les gens, et le métier de prof me permet d'avoir une certaine « utilité » (toute relative cependant). En plus l'école est un lieu vraiment pas génial, où beaucoup de choses restent à améliorer, quelque part je me dis que si quelqu'un doit y donner des cours d'anglais autant que ce soit moi, et que j'essaie d'y apporter des choses à la foi agréables et un peu plus profondes qu'un simple savoir scolaire. De toutes façons je n'aurais pas pu travailler dans le privé, car je ne supporte pas l'idée de vendre quelque chose (sauf mon disque !!!) et l'idée qu'on me donne des
ordres. Et puis enseigner c'est le travail idéal pour avoir une activité à côté. Je crois que si j'avais travaillé dans le privé je n'aurais sûrement jamais sorti cet album, je n' aurais pas eu le temps et l'énergie. Par ailleurs il y a vraiment très très peu de chances pour que je puisse vivre un jour de ma musique.
Peux-tu nous expliquer ton processus de création ? Ta musique est-elle structurée ou laisses-tu de la place à l'improvisation ? Quand sais-tu qu'un morceau est terminé ?
Il y a beaucoup de place pour le hasard et en même temps il y a de très longues heures passées à travailler un morceau, à tout placer au centième de seconde. Le hasard provient des sources utilisées, dans le sens où je ne saurai jamais pourquoi tel jour j'ai emprunté tel disque à la médiathèque et pourquoi ensuite j'ai réussi à faire un super morceau avec. Si j'avais emprunté un autre disque, j'aurais peut-être fait un autre beau morceau avec, mais il y a également de fortes chances pour que je n'arrive pas à faire quoi que ce soit de valable avec (ça m'arrive beaucoup aussi !). Parfois le morceau se fait en quelques heures dispersées sur quelques jours, parfois il y a un intervalle de plusieurs mois entre une ébauche qui ne me
convainc pas tout à fait, j'essaye, je réessaye, je n'y arrive pas, et puis trois mois plus tard j'enlève des pistes et en fait je m'aperçois qu'il y avait trop de choses. Généralement ça marche comme ça, j'empile puis j'enlève jusqu'à ce que ne reste que ce qui me semble strictement nécessaire.
Comment s'est opéré la rencontre avec Leaf ? Pourquoi pas un label français ?
Dès que j'ai commencé à travailler sur ordinateur, j'ai
su qu'un jour je voudrais sortir un album, or ça n'était pas vraiment possible sur active suspension (chez qui j'avais sorti un 7'' en 2002), donc en octobre 2002 j'ai tout simplement envoyé 8 démos, uniquement à l'étranger car je ne voyais pas vraiment de label en
France susceptible de m'accueillir, et surtout j'avais envie de toucher des personnes à l'extérieur de la
France, or chacun sait que la distribution des petits labels reste un véritable problème. Leaf m'a répondu assez rapidement et m'a proposé un contrat pour 3 albums, je n'en croyais pas mes yeux car en fait c'était quasiment le plus gros label auquel j'ai envoyé ma démo. Je crois aussi que mon amour de la langue anglaise a joué un rôle dans le choix d'un label anglophone.
Comment envisages-tu le futur ? Ta musique va-t-elle évoluer ? Si oui sais-tu quelle direction tu as envie de prendre ?
Le futur c'est les deux prochains albums sur Leaf avec sûrement quelques autres productions entre chaque album, plein de concerts et de voyages en province et à l'étranger car j'adore la scène et c'est vraiment un privilège et un luxe incroyable que de pouvoir être bien accueilli quelque part tout ça parce qu'on fait de la musique. Il y a un gros point d'interrogation sur l'évolution de ma musique, et c'est tant mieux. J'ai développé une approche pour la scène très différente techniquement de la conception de mon album : l'album a été créé uniquement à partir de samples provenant de disques déjà existants, rien n'est joué par moi-même, alors qu'en live c'est tout l'inverse, je joue seule en alternant différents instruments - guitare acoustique,
mélodica, glockenspiel, violoncelle, flûte, boites à musique- et ce sont des morceaux spécialement créés pour les concerts, car de toutes façons il m'est techniquement impossible de recréer les morceaux du disque. Or j'apprécie de plus en plus de jouer « pour de vrai », en plus je suis folle d'instruments, mon rêve c' est d'avoir toute une collection d'instruments (je voudrais une harpe, un harmonium, un piano.), en ce moment je prends des cours de violoncelle et ça m'apporte beaucoup de bonheur, car je n'aurais jamais pensé pouvoir un jour apprendre cet instrument, bref le prochain album sera peut-être crée à partir d'instruments live, ou uniquement à partir de samples comme le premier album, ou un mélange des deux, en fait je n'en sais strictement rien. Je sais juste que je ne veux pas précipiter les choses, car le premier album était l'aboutissement de 12 ans à faire de la musique, donc il faut que j'aie encore des choses à dire sur le deuxième et le troisième albums, sans faire une simple redite du premier car ça n'aurait que peu d'intérêt et de toutes façons ce serait moins bien.
Propos
recueillis par Guillermo Villas pour d-i-r-t-y.com
Remerciements
à Guillaume Sorge
Photos : Sophie Mandon
site
Colleen > http://www.colleenplays.org
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