Entretien
avec Oboken
Avec son récent album, Except
you, le duo Oboken confirme tout le
talent qu'on lui prêtait déjà après le précédent
Piece of Mind. Fait de climats changeants, d’ambiances
emplies de lumières douces, Except you s’avère être
un des tous meilleurs albums d’artistes français de ce
premier semestre 2003.
A
une étape décisive de leur carrière, le passage au
second album, Bruno et Philippe reviennent sur la
conception de ce dernier, des difficultés rencontrées et
parlent, plus largement, de leur passion, de leurs coups
de cœur et de l’art en général.
Benzine
: Qu’est ce qui a changé dans votre manière de travailler
la musique avec [Except
you] par rapport à Peace
of mind votre précédent album ? Avez vous appréhendé
le travail de composition de la même façon ?
Qu’avez vous apporté de nouveau ? L’apport de
l’électronique a-t-il été plus important ?
Bruno :
En fait, tout a changé !
Pour Peace of mind, nous étions partis de maquettes
qu’avait faites Philippe que nous avons retravaillées
et remodelées en studio tous les deux.
Sur [except you], l’idée de départ était de ne rien préparer,
hormis les textes bien sûr, et de voir ce que nous étions
capables de faire spontanément, sur le vif, sans rien
avoir prémédité. Une sorte de manière de se mettre
volontairement sous pression, de se placer délibérément
au pied du mur et de tester nos capacités de réactions.
Nous sommes assez satisfaits du résultat même si comme
d’habitude, on pourrait dès aujourd’hui tout refaire
différemment, tant de nouvelles idées se bousculent déjà.
Quant à l’électronique, ça reste comme ça l’était
déjà, un outil parmi tant d’autres. Si un logiciel, un
séquenceur ou une boîte à rythmes traîne dans le coin,
et qu’à ce moment précis nous vient l’idée de
l’utiliser, cet instrument va apparaître sur le titre
que nous sommes en train de travailler.
Nous ne pratiquons pas cette distinction électronique/acoustique.
Le but reste simplement de faire de la musique, celle qui
nous ressemble le plus, que cela passe par des outils électroniques
ou un orchestre de mandolines !
Philippe :
L’apport de l’électronique peut paraître plus
important pour [Except you] que pour Peace
of mind car les sonorités électroniques y
apparaissent plus nettement sur certains morceaux. Elles
sont plus directement identifiables et on peut les
affilier plus facilement à ce qui se fait dans le domaine
de l’électro. Je pense principalement à des chansons
comme Song of someone else ou Evidence of
beauty. Mais en fait, dans la façon de procéder, Peace
of mind était davantage basé sur des la technique du
sampling, très utilisée dans la musique dite « électronique ».
Mais comme la base des samples était constituée de sons
acoustiques, l’aspect électro était beaucoup moins décelable
à l’oreille. Avec [Except you], les choses sont
plus contrastées : on a d’un côté ces quelques
titres au rendu plus franchement électro et de l’autre
des morceaux encore plus acoustiques et dépouillés
qu’auparavant (accurately, seasons of my life).
Le mot « kaléidoscopique » me revient souvent
quand il s’agit d’évoquer les particularités du
dernier album.
La mise au monde de ce dernier a-t-elle été plus
difficile que pour le précédent ? Avez-vous eu à
faire à des difficultés particulières ?
Bruno : Oui, forcément, l’enregistrement a été difficile. Le point le plus délicat
dans ce genre de démarche est d’être à la fois dans
le vif de l’action et de garder suffisamment de distance
pour garder une vision globale du projet. C’est très
souvent très éprouvant mais le plus souvent, c’est
simplement excitant et stimulant.
La difficulté majeure, mais ce n’est pas nouveau pour
nous, est d’obtenir un rendu fidèle à ce que nous
avons déjà en tête. Comment enregistrer ? Avec
quel instrument ? Quel arrangement ? Le morceau
est-il ainsi terminé ou manque-t-il encore quelque chose ?
Sans oublier tous les questionnements liés à la voix, aux
mélodies et aux textes bien sûr.
Philippe : Personnellement, ce qui m’a paru difficile (à tous les niveaux) c’était
à la fois de développer, de creuser encore un peu plus
l’univers d’Oboken
sans pour autant faire un peace of mind bis.
Nous avions envie d’exploiter d’autres couleurs,
d’autres sentiments, envie de quelque chose de plus
ouvert, mais en gardant tout de même un lien fort avec
les albums précédents. Ça me paraît idéal d’arriver
à se renouveler dans une certaine continuité. J’espère
que nous y sommes parvenus !
Pensez-vous, qu’avec [Except
you], vous
vous éloignez un peu plus de vos références et de
celles qu’on vous collent souvent (Sparklehorse, la scène
néo-country américaine...) ? Pensez-vous affirmer
un peu plus votre personnalité musicale avec cet album ?
Bruno : Non,
je ne crois pas, tout simplement parce qu’on a pas spécialement
conscience de ce problème de références. En revanche,
il semblerait que les gens qui écoutent de la musique
aient besoin de ce système de références, peut-être
pour ne pas trop s’éloigner de leurs repères
habituels. Nous concernant, cela ne nous gêne pas
particulièrement, sauf quand cela devient trop systématique.
Etre comparé à Sparklehorse
est très flatteur, certes, mais n’en reste pas moins
abusif. On pas vraiment l’impression d’évoluer dans
la même catégorie que ce groupe, pas plus qu’on ne le
souhaite d’ailleurs.
On essaie juste de faire
humblement et le plus honnêtement possible notre musique,
ce qui est déjà assez compliqué comme ça par moments !
Philippe : A l’écoute
de Peace
of mind je ne perçois pas directement l’influence de Sparklehorse
ou d’autres groupes qui sont dans cet esprit là. Mais
je peux comprendre la filiation. Sur [Except you], j’ai plus
de mal parce que j’ai quand même le sentiment qu’on
s’en éloigne. Je ne perçois pas grand
chose de très « néo-country » dans ce
disque, mis à part peut-être des morceaux comme seasons
of my life ou b side, qui ont effectivement une
coloration folk assez évidente. Mais bon, après tout,
nous avons peut-être les « esgourdes ensablées »,
comme on dit dans le sud !
Sur Good Pupil,
vous utilisez un sample de Sylvain Chauveau. Pourquoi ne développez-vous
pas plus ce type de démarche sur d’autres titres ?
Bruno : Parce qu’un sample n’est jamais qu’un arrangement parmi tant
d’autres et qu’il n’y a aucune raison d’en systématiser
l’utilisation. Si cela peut servir un morceau, alors
oui, nous allons essayer de travailler autour d’un
sample. Mais nous savons aussi qu’un sample peut
« bloquer » un morceau et l’empêcher d’évoluer
vers ce qu’il pourrait devenir. Nous sommes peut-être
devenus méfiants face à ces technologies aux apparences
si simplistes !
Est-ce le signe qu’il existe une connexion entre les différents
artistes de « la nouvelle scène française »
(Chauveau, Bed, Oboken, Man, Don Nino et d’autres...) ?
Bruno :
Même si nous respectons beaucoup certains musiciens français,
utiliser un sample de leur musique n’est pas directement
signifier que nous nous sentons « connectés »
avec eux. Cela ne s’est pas encore produit, mais
j’imagine volontiers que nous puissions un jour sampler
des choses, qu’a priori, nous n’aimons pas. Si au
milieu d’un morceau détestable se trouve exactement le
son, le rythme ou le bruit que nous cherchons désespérément,
pourquoi s’embêter avec des considérations naïvement
puristes ?
Envisageriez-vous des projets communs avec ces groupes ?
Quel regard portez-vous sur leur musique ?
Bruno :
Nous serions bien sûr intéressés par telle ou telle
collaboration avec d’autres groupes, mais au jour
d’aujourd’hui, aucune rencontre allant dans ce sens ne
s’est encore vraiment concrétisée.
Pour en citer quelques-uns uns, des disques comme ceux de Married
Monk, Bed ou encore Amor Belhom
Duo font parties des choses que j’apprécie
vraiment et que j’écoute régulièrement. Mais sans
jamais me demander si cette musique est française, si
elle est appartient oui ou non à cette « nouvelle scène
française »... Ce sont simplement des disques que
j’écoute.
Philippe :
Pour revenir aux samples, nous aimons beaucoup leur côté
répétitif, qui était vraiment très marqué dans le
morceau de Sylvain
Chauveau. Et puis les samples nous permettent
d’accéder à toutes les textures sonores qui nous
plaisent. Là en l’occurrence, il s’agit d’un piano,
instrument que nous affectionnons particulièrement,
surtout quand il a ce son. Le sample de S.
Chauveau donne un côté très classieux et
intemporel au morceau.
Vous exercez tous les deux une profession en dehors de la
musique, est-il toujours facile de concilier les deux ?
Bruno :
En fait moi, ma profession est musicale ! Je compose
en effet des musiques pour des documentaires, films
institutionnels, films d’animation et autres sites
internet.
Mais il est certain que la musique que je fais au sein d’Oboken
ne correspond en rien aux commandes que peuvent me faire
certains de mes « clients ». Alors oui, il est
tout de même souvent question de « conciliation ».
Philippe : En ce qui me concerne, il n’est effectivement pas toujours facile de
concilier mon métier et la musique, surtout quand on a en
plus une vie familiale assez dense ! Mais bon, il n’y a
pas que des mauvais côtés : ma profession m’ouvre
sur autre chose et me permet parfois de voir le milieu de
la musique avec plus de recul. En plus, grâce à mon métier,
je ne dépends pas financièrement de la musique, ce qui
me laisse une certaine forme de liberté. Mais bien sur il
y a le revers de la médaille ! Principalement, le
manque de temps pour creuser des idées, approfondir
certaines choses. Ça me contraint la plupart du temps à
travailler vite, ce qui peut avoir du bon, mais parfois
j’aimerais quand même pouvoir prendre le temps de
peaufiner telle ou telle chose tranquillement.
Sur scène vous utilisez beaucoup le sampler, (vous samplez
votre propre musique en direct) D’autres comme Dominique
A l’utilisent systématiquement sur scène ; est-ce
vraiment un plus pour vous ?
Bruno :
Tant que nous resterons à deux sur scène, oui les
samplers restent pour nous le seul moyen de pouvoir
« étoffer » nos prestations live. Pas systématiquement
sur tous les morceaux, mais parfois cela est réellement nécessaire.
Mais il n’est en aucun cas exclus que nous jouions un
jour avec d’autres musiciens sur scène, ce qui pourrait
me permettre d’être un peu moins obligé de « jongler »
avec ma collection de pédales ! J’apprécierais
alors la joie de n’avoir à me concentrer que sur mon
instrument, quel qu’il soit, sans me soucier de ces
samples parfois délicats à gérer.
Lors d’un récent concert à Nancy on a vraiment senti,
dans la salle, que vous faisiez totalement corps avec
votre musique, que vous en êtes totalement imprégnés
(notamment Philippe qui chante souvent les yeux
fermés). La scène est-il quelque chose de primordial
pour vous ? Y ressentez-vous des émotions particulières ?
Bruno :
Oui, bien sûr, c’est un exercice on ne peut plus
important pour nous.
Plutôt que d’énumérer les poncifs habituels concernant
les concerts (vrai contact avec le public, moment de vérité,
reconnaissance, communion, etc.) je préférerais dire que
c’est avant tout l’occasion pour nous d’emmener nos
morceaux vers de nouveaux horizons. N’étant que deux
sur scène, cela nous oblige à réécrire complètement
les morceaux et leurs arrangements, ceci en les laissant
les plus libres possibles. Nous essayons toujours de réserver
une place importante à l’improvisation, pour pouvoir
adapter nos morceaux à notre humeur, au lieu, à notre
ressenti de la situation. Par improvisation, j’entends
bien sur liberté de jeu et non interminables parties
instrumentales absconses !
L’idée reste avant tout d’être
le plus fidèle possible à ce qu’est notre musique sur
disques.
Philippe :
Personnellement, ce concert à Nancy était unique, car
c’est la première fois où j’étais à ce point dans
le moment présent pendant un concert. Auparavant,
probablement à cause du trac ou du manque de pratique, il
m’arrivait souvent de repenser à tel ou tel passage que
nous venions de faire, ou de me projeter à l’avance sur
telle ou telle partie un peu difficile à jouer, etc… Du
coup, dans ces moments-là, on n’est jamais vraiment
« au milieu » des choses. Alors que là, j’étais
complètement dedans, à fond dans l’interprétation. Je
profitais de chaque note, de chaque son qui sortait. C’était
vraiment magique !
Sur scène vous reprenez un titre de Spain. Quels sont les
artistes actuels qui vous touchent particulièrement
?
Bruno :
Désolé, It’s so true est momentanément
sorti de notre set-list.
Difficile d’établir une telle liste forcément réductrice,
mais en vrac, ca pourrait donner quelque chose comme :
Lambchop, Bed, Sea & Cake,
Brian Ferry,
Mark Eitzel,
Morning Star, Calexico
et plein d’autres moins « actuels ». Je
n’ai pas honte de dire que nous avons pris un malin
plaisir à réécouter avec Philippe il y a peu, quelques
morceaux de Led
Zeppelin ou Queen.
Des titres de cette époque révolue où les morceaux étaient
importants pour ce qu’ils étaient mais aussi pour tout
ce qui les accompagnaient, des situations particulières,
des personnes, des états d’âme, des amours.
Philippe : Je rajouterai à l’énumération de Bruno des groupes comme Low,
Yo La Tengo ou encore Tarwater, dont
j’ai découvert très récemment le dernier album. Il
quitte rarement ma platine ces derniers temps ! Je
vais maintenant pouvoir m’attaquer à leurs productions
antérieures (j’ai souvent entendu parler en bien de
leur album Silur).
Sur la pochette de [Except
you] il y a une photo qui semble dater des années 50
et sur laquelle on peut voir une cuisine avec une mère et
son fils. On découvre dans les crédits qu’elle est
signée Pierre Fleutelot. Un parent à Bruno ?
Pourquoi ce choix ?
Bruno :
Bien vu, la photo date de 1959. Elle représente mon oncle
et ma grand-mère paternelle. Elle est d’un autre oncle,
le frère du gamin sur la photo, qui avait à l’époque
17 ans.
C’est en consultant des archives familiales que je suis
tombé sur cette photo que je ne connaissais pas et je
suis resté littéralement bouche bée devant cette image,
tellement sa composition est proche de la perfection,
tellement ce qu’elle dégage m’a parut fort.
Je me suis ensuite longtemps
demandé si cette photo pouvait avoir le même impact pour
des personnes étrangères à cette situation familiale.
Mais après l’avoir pas mal montrée, il s’est avéré
qu’elle racontait pas mal de chose à pas mal de
personnes.
Sur le site d’Oboken on peut également voir, des
dessins, des photos, des peintures signés de vous deux.
L’art, la création ne s’arrête donc pas à la
musique pour vous ?
Bruno : Non, et ça serait dommage.
La musique est une facette de nos personnalités, la plus
prenante et la plus complète sans doute, mais néanmoins
qu’une partie de tout ce que l’on a envie de faire.
Est-ce que c’est de l’art pour autant, je n’en sais
rien et je ne suis pas sûr d’avoir envie d’engager
ici ce débat.
Je sais juste que ce sont simplement des choses nécessaires
et vitales.
Fernando Pessoa
disait "La littérature, comme toute forme d'art,
est l'aveu que la vie ne suffit pas". Qu’ajouter
de plus ?
Philippe : Le dessin et la peinture sont présents depuis très longtemps chez nous,
et pour ma part bien avant la musique. La musique, ça
m’a pris vers 15 ou 16 ans et progressivement ça a un
peu tout balayé, à cause des émotions inégalées que
ça me procurait. A présent je sens que la peinture, le
dessin reprennent peu à peu leurs droits, qu’ils
reviennent s’immiscer dans ma vie. En ce moment je me
rends compte que j’ai de plus en plus de mal à faire de
la musique seul. Plus ça va et moins je ne conçois
d’activité musicale en dehors d’Oboken. C’est là
que les choses prennent tout leur sens. Mais j’ai
quand même besoin d’une activité solitaire. La
peinture et le dessin sont parfaits pour ça !
Quelle est la suite des opérations après la sortie de [Except
you] ? Une tournée de prévue ? Des projets
parallèles ?
Bruno :
On devrait effectivement commencer à tourner, mais rien
de réellement concret pour le moment. Notre label y
travaille activement en tout cas.
Un de nos souhaits serait aussi d’essayer de trouver une
distribution pour l’étranger, là où le fait de
chanter en anglais n’est pas forcément dommageable. Et
pourquoi pas commencer à tourner à l’étranger ?
De mon côté, oui, j’ai le fervent désir de réactiver
des projets parallèles, en solo ou pas, histoire de
continuer à aller voir ailleurs et de m’emplir de plein
de nouvelles choses, qui au bout du compte finiront sans
doute d’une manière ou d’une autre par enrichir
encore l’univers d’Oboken.
Philippe :
Absolument. Pour ma part, j’aimerais bien mener à terme
la réalisation d’un album qui compilerait des morceaux
que j’ai enregistrés et offerts à différents amis à
l’occasion de leur anniversaire. J’appelle ça des
« birthday cakes ». Ce qui est marrant,
c’est que ces chansons réalisées de façon disparate
donnent quelque chose de plutôt cohérent quand on
les met bout à bout.
Et puis dans le registre des projets parallèles à la
musique, j’aimerais cumuler assez de travaux picturaux
pour faire une expo, mais j’en suis encore loin…
Propos
recueillis par Benoît le 6 mai 2003
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