David Treuer et Rick Moody ont deux
choses en commun. D’abord, ce sont deux jeunes
auteurs américains qui renouvellent avec talent la
grande littérature d’outre-Atlantique, celle des
grands espaces et des personnages forts. Ensuite ils
sont tout deux obsédés et habités par la question
indienne. On a déjà vu comment cela impactait le
dernier roman de Moody.
Aujourd’hui il faut profiter de l’édition
en poche chez 10-18 du second livre de David
Treuer pour (re)découvrir un auteur à qui les
qualificatifs de gigantesque et d’indispensable,
certes galvaudés, vont comme un gant. Si Little
fut une mise en bouche appétissante et prometteuse,
Comme un frère constitue un plat de
consistance roboratif.
Toujours hanté par le sort réservé à la communauté
indienne dont Treuer est issu lui-même, de
l’éradication à l’exode, Comme un frère
gravite autour du personnage de Simon, un jeune
indien que l’on découvre à sa sortie de prison
après une peine de dix ans consécutive à
l’assassinat de son petit frère Lester.
Les trois cents et quelques pages du roman proposent des
aller-retour permanents entre passé et présent,
retraçant la vie de la famille de Simon et échafaudant
des pistes et des réflexions sur ses raisons
d’agir (et d’avoir commis ce crime apparemment
inexpliqué).
Sans doute Simon a t-il été marqué par la mort prématurée
de Jacob son père en pleine forêt alors que tous
deux étaient en train de couper des arbres. Une
première culpabilité qu’il ne va pas cesser de
traîner derrière lui, d’abord dans la réserve
au Nord puis à Minneapolis où sa mère Betty
accompagnée de ses quatre enfants déménage. De
celle qui forge et conditionne un destin en marche.
Dans cette ville en pleine démolition et reconstruction,
Simon déserte les bancs de l’école pour se
lancer à l’assaut des échafaudages qui
accompagnent l’érection des gratte-ciel. Alors
que la famille se délite et peine à trouver ses
marques, Lester fait la connaissance de Vera, une
adolescente blanche.
Virtuose dans l’écriture millimétrique
et précise, David Treuer est également à
l’aise dans des scènes d’actions comme dans
l’étude de ses personnages et de leurs caractères.
Fin connaisseur de la nature et de ceux qui la
peuplent, Treuer sait évoquer à la
perfection des instants de braconnage auprès des
fleuves, des escapades nocturnes
ou la cache-poursuite de Simon à travers des
forêts immenses. Ces chapitres-là sont de véritables
morceaux de bravoure, qui emmènent le lecteur très
loin, qui mêlent adroitement suspense et poésie
dans une union fusionnelle et excitante.
Mais le roman n’est pas qu’une accumulation narrative,
aussi maîtrisée soit-elle. C’est aussi une
formidable approche de la nature humaine et de ses
contradictions. La culpabilité, le besoin de rédemption
et de réconciliation qui va avec planent tout au
long de ce livre magnifique et lyrique, jamais
pompeux ni bêtement grandiloquent.
Employant les temps du passé et du présent au cours
d’un même paragraphe, David Treuer nous
emporte là où il veut bien et fait régner un
climat oppressant et resserré qui laisse présager
le pire. Les clefs du drame initial qui nous
permettraient d’ouvrir quelques portes ne nous
seront livrées que tard, obligeant à une lecture
haletante qui ne supporte ni haltes ni reports.
A travers des personnages tourmentés et en perdition, Treuer
confesse aussi ses états d’âme sur un pays déjà
en perte de valeurs (et pourtant l’action se situe
quelque vingt années en arrière). Mais Comme un
frère est aussi une parabole superbe sur la
condition humaine avec en filigrane le
questionnement suprême de la place imprimée puis
laissée par chacun de nous.
Absolument parfait aussi bien par la forme et le par le
fond, Comme un frère est un livre dévastateur
car, au-delà de la rencontre d’un écrivain génial,
il renvoie chaque lecteur à sa propre vie et ses
propres interrogations.
Patrick Braganti
Date
de publication : 16/9/2004 (version poche)
parution
initiale en 2002 chez Albin Michel
Plus+
David Treuer : Little
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