D’abord,
il y a Roberta, la mère dans sa cuisine, épuisée
par ses tâches ménagères, l’éducation de
quatre enfants, qui ne comprend pas la dépression
de son mari Daniel, sans emploi depuis six mois.
Pourquoi se plaint-il sans arrêt, est-il toujours
fatigué, alors qu’il traîne son vague à l’âme
entre siestes indolentes et virées au bistrot du
coin ? Elle, elle craint le manque d’argent
à venir, la pauvreté, mais surtout ce qu’elle
confie à sa sœur Monique c’est son ennui
abyssal, sa tristesse profonde, cette impression qui
colle à la peau de ne plus être vivante.
Comme
elle l’était au temps de José, qui pourtant
l’a plaqué avec son marmot Kévin pour une
jeunette mieux disposée. José elle l’a aimé
comme personne, même si elle ne peut oublier toutes
les saloperies infligées. Daniel a su dès le
premier jour que Roberta ne l’aimerait jamais,
l’accepterait juste comme une béquille, un
pis-aller.
Puis
il y a Kévin, l’aîné, pédé qui multiplie les
étreintes fugaces dans les endroits sordides pour
le seul plaisir d’avoir un corps puissant et viril
qui le recouvre, l’engloutisse pendant quelques
minutes. Surtout pas d’amour, juste de la baise.
Viennent
ensuite les jumeaux Fred et Sandrine : lui est
parti, marin au long cours comme promesse de voyage
et d’avenir tranquille, mais sa copine n’a pas
bien supporté cette absence, ce sentiment de ne
plus être protégée. L’histoire s’est terminée,
tout comme celle de sa sœur avec son pote Jérémy
part à vau-l’eau par manque de dialogues, par
certitude de ne plus être en phase.
Et
le petit Franck, un gamin asthmatique, est déjà le
réceptacle presque inconscient de toutes ces
situations qui dérivent, qui pourrissent et il
bascule dans les petits délits comme une vengeance.
Comme un appel, un cri.
Il n’est question que de cela dans le septième
roman de Emmanuel Adely : non pas des
dialogues entre ses différents personnages, mais
des monologues comme des confessions, des
vomissements, des bouteilles jetées dans la mer de
l’indifférence et du désamour, des paroles
sorties des tripes trop longtemps retenues qui
sortent en un flot continu, une diarrhée verbale.
Le besoin de dire son malheur, son incompréhension
de l’autre, ses interrogations sur la vie,
l’amour et d’exprimer en filigrane son désarroi,
sa peur.
Des
questions essentielles que chacun s’est un jour
posé : deux êtres, de sexe différent ou de même
sexe, sont-ils faits pour vivre ensemble durablement ?
Et ne vaut-il pas mieux tout arrêter quand
l’amour s’est éclipsé ? Peut-on vivre
sans amour, est-on encore vivant ?
C’est
pourquoi le livre de Adely a la force d’un
coup de poing, d’une énorme claque. Ce que le
style et l’écriture de l’auteur viennent
renforcer. Nous sommes ici dans le domaine de
l’oralité, les longs monologues à la ponctuation
rare, laissée à l’appréciation du lecteur,
semblent retranscrits comme un enregistrement réalisé
par l’auteur, conférant au livre un aspect
sociologique qui n’est pas sans rappeler les
confessions recueillies par Pierre Bourdieu
pour La misère du monde. Une écriture de
l’intimité, de l’intériorité de la part
d’un auteur nullement intéressé par l’action
externe, mais passionné par les rapports humains.
Supprimer la distance respectueuse entre langue écrite
et langue parlée – faire abstraction de son
propre style, se mettre en retrait de son ego d’écrivain
- et inscrire ses personnages dans le réel
apparaissent comme l’essence même du travail de Adely,
jetant au passage une passerelle avec celui de François
Bon. Du fait même du sujet omniprésent,
l’amour, ce procédé a d’autant plus d’effet
chez le lecteur.
S’il
est indéniable que Mon amour touche à
l’universel et à l’éternel, il ne faut pas non
plus perdre de vue que l’auteur inscrit son récit
dans un environnement défavorisé, touché de plein
fouet par chômage et précarité, manque de repères
et d’espoirs et dresse en pointillés un tableau
juste et effrayant de l’état de notre société.
Dont
chaque individu connaît et exprime à sa manière
avec sa culture et ses mots les plaisirs et les
tourments des sentiments.
Emmanuel
Adely
confiait récemment : « Moi, j’ai
vraiment envie de donner la voix, la parole aux
gens, d’aller vers cette matière brute et de la
donner à entendre au plus près d’une réalité
orale. ». Avec Mon amour, le but
est largement atteint.
Patrick
Braganti
Date de
parution : 06/01/2005
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adely - Mad about a boy
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