La
route du Rock 2005
Fort
de Saint-père, les 12,1 et 14 août 2005
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C’était le 15ème anniversaire de La
route du Rock, et personnellement la 10ème
édition à laquelle j’assistais, et sans vouloir
jouer les vieux cons grincheux, j’ai quand même une
certaine nostalgie de l’ancienne formule de ce
festival (des concerts plus nombreux au fort de Saint Père).
L’une de ses particularités était de présenter une
scène unique. Alors pourquoi avoir exilé une partie
des groupes au Palais du Grand Large, en pleine ville,
loin du fort ? Pour que la ville de Saint Malo soit plus
associée à l’événement ? Le principe des
siestes musicales (des DJ-sets sur une des plages
longeant les remparts, plus cette année une performance
au piano de Christopher
O’Riley) ne suffisait-il pas ? Cette idée de
réserver les groupes plus intimistes ou plus
underground à quelques « happy few » possède
un côté élitiste assez énervant. Certaines personnes
ne seraient donc pas digne de découvrir Animal
Collective ou Great
Lake Swimmers ? Cela me semble en complète
contradiction avec le concept de base des
programmateurs, à savoir attirer un maximum de gens sur
les grands noms et leur faire ainsi découvrir des
groupes plus méconnus.
Cette
année, les grands noms tendaient même vers le style
bulldozer, ce qui a fait grimacer quelques personnes
mais qui a le gros avantage, aux yeux des organisateurs,
de leur permettre d’atteindre l’équilibre financier
(contrainte inévitable pour la viabilité du festival).
Résumé
d’un week-end où on aura vu défiler des styles très
variés, particulièrement en ce qui concerne
l’attitude sur scène quiu nous a vu passer de
l’ataraxie de The
organ à l’hystérie des Polyphonic
Spree.
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Vendredi
12 Août : Un des nombreux et prometteurs nouveaux groupes anglais Art
Brut a la lourde tâche de réveiller le Fort,
engourdi par une journée très chaude et ensoleillée.
Ce dont il s’acquitte avec une belle énergie. Le
chanteur Eddie Argos, arborant
une chemise rose, une belle cravate et une fine
moustache assez décalée, se dépense sans compter mais
du coup s’essouffle et perd un peu sa voix. Peu
importe ! L’enthousiasme, que ce combo dégage,
balaie toute résistance. Leur leader en profite pour
expérimenter un nouveau concept : l’échange de
chaussettes avec le public. Alamo
Race Track est symptomatique de l’époque :
Interpol pompe Joy Division, le groupe hollandais pompe
le pompeur new-yorkais. Et comme dans toute photocopie,
la qualité se dégrade, on s’inquiète de voir
jusqu’où ira ce phénomène d’auto-reproduction.
Ajouter à cela un manque complet de charisme, et on
obtient une prestation terne et ennuyeuse. C’est à
dire l’opposé exact du set des Wedding
Present : tendu, noisy et habité, bref parfait
comme d’habitude. Les Yo La Tengo ne sont pas des petits nouveaux non plus et leurs
concerts sont rarement décevants. Encore une fois, ils
livrent une prestation époustouflante, alternant les
plages intimistes (notamment une version quasi chuchotée
de Can’t forget devant 8000 personnes, il faut
oser !) et les déflagrations bruitistes où Ira
Kaplan se déchaîne, sa guitare semblant devenir
entre ses mains un animal sauvage et incontrôlable. On
ne restera que quelques instants devant Mercury
Rev, le temps de vérifier que Jonathan
Donahue est vraiment de plus en plus insupportable
de maniérisme sur scène.
Samedi
13 Août : Au secours ! Le corbeaux sont de sortie et envahissent
le site du festival qui, ce soir, affiche complet.
Compte tenu de la réputation d’intransigeance des
fans curistes, on peut dire que les trois groupes
passant avant la bande de Crawley s’en sont très bien
sortis. The organ
commence donc devant un public déjà très nombreux :
les cinq filles de Vancouver semblent d’ailleurs
intimidées et, à part la chanteuse, restent assez figées.
Mais le contraste entre, par exemple, l’attitude
statique de la guitariste (souriant dans le vide,
semblant planer à 3000) et le dynamisme de la ligne mélodique
de son instrument est, en définitive, intéressant et
touchant. Et puis finalement quoi de plus normal que
cette réserve et cette timidité pour un groupe évoquant
irrésistiblement les Smiths ? En tout cas, Katie Sketch, la chanteuse androgyne à la voix joliment désespérée,
paraît très émue par l’accueil chaleureux qui leur
est réservé. Refroidissement par la suite car Colder
porte bien son nom et sous une légère pluie délivre
un show assez morne et linéaire. La pluie s’énerve
un peu (on est très loin des trombes d’eau de l’an
dernier) pour le concert des Raveonettes
dont le line-up s’est enrichi d’un nouveau
musicien. Le tournant (plus acoustique) pris sur le
dernier album a surpris, mais sur scène les chansons
retrouvent le traitement jouissif auquel on s’est
habitué avec les Danois. Et on a donc toujours cette
impression d’écouter Jesus & Mary Chain reprenant
des pop songs des années 60. Vient, ensuite, ce qui est
considéré pour beaucoup comme le gros gâteau
d’anniversaire (les mauvaises langues diront le
pudding) du festival : The
Cure. C’est finalement dans l’ordre des choses
car le groupe de Robert Smith est sans doute celui qui a l’influence la plus
primordiale sur bon nombre de musiciens intéressants de
la génération actuelle. La nouvelle formation, avec
quatre musiciens, se présente sans clavier et propose
donc un son des plus acéré. Leur set évite la facilité
du best-of (que les fans ultras auraient eu du mal à
avaler de toutes manières). Après avoir butiné sur
leur versant pop (extrait essentiellement des albums
« The head on the door », « Wish »
et « The Cure »), la bande du plus célèbre
des mal coiffés s’attaque à leur côté sombre avec
un « One hundred years » au light show
apocalyptique et un « Disintégration » épique.
Ils finissent principalement avec des morceaux de
l’essentiel « 17 seconds », notamment un
« At night » tranchant et dépouillé, avant
de clore avec « 10 :15 Saturday night »,
morceau fondateur de l’esthétique Cure. Avec
ces deux heures de show intenses et diversifiées, on ne
peut que conclure en disant que : sur scène le
combo anglais a toujours des choses à dire et reste un
groupe crédible. Il faut préciser qu’en plus de la
voix toujours honnête et habitée de Robert
Smith, The
Cure dispose dans ses rangs d’un des plus grands
performers qui soit en la personne de leur bassiste Simon
Gallup, toujours aussi affûté et impressionnant de
présence. Eux aussi sont impressionnants sur scène
mais dans un tout autre style : les !!!
ne ménagent pas leurs efforts avec leurs grimaces et
leurs déhanchements à la limite du grotesque (mais
c’est complètement assumé !)
pour secouer les courageux qui sont restés
jusqu’au bout.
Dimanche
14 Août :
Retour au calme (provisoire) dans les rangs qui
garnissent le Fort : on a enfin un peu de place
pour respirer et pour apprécier la performance
gentillette de Boom
Bip et son electronica organique basée
exclusivement sur de « vrais » instruments. Maximo
Park est le premier groupe de rock signé sur
l’intransigeant label Warp. On connaissait leur audace
concernant l’électronique bidouilleuse, on sait
maintenant qu’ils ont en plus très bon goût en matière
de rock. Les chansons tranchantes du groupe de Newcastle
sont tout simplement irrésistibles. Ils ont le chic
pour enchaîner les pop song parfaites. Le chanteur au
visage sur-expressif se démène et saute dans tous les
sens devant un public très réceptif et enchanté.
L’enchantement continue avec la « secte »
des Polyphonic
Spree. Les vingt membres présents sur scène (dont
huit choristes) ont opté aujourd’hui pour une robe
bleue striée d’un éclair rose. Et c’est
visuellement très impressionnant de les voir tous
gesticuler comme des dératés au son de leurs
symphonies généreuses et enjouées. Place ensuite aux
vétérans new-yorkais. Les musiciens de Sonic
Youth ont tous maintenant largement dépassés la
quarantaine, on ne peut donc pas leur demander de
simuler la sauvagerie de leurs débuts. On ressent donc
devant leur performance la même chose qu’à l’écoute
d’un concert de jazz : un léger ennui pas forcément
désagréable d’ailleurs. Seul l’incontournable Teenage
riot fait illusion en rappel. Le groupe finit par
l’exercice obligé des cinq minutes de larsens,
feedbacks et autres distorsions bruitistes des trois
guitaristes. Bref, ils déroulent gentiment. Metric,
pour sa part,
malgré le jeu de jambe déconcertant d’Emily
Haines, laisse froid ; leur musique est sans
envergure et sans originalité. On se réserve donc pour
la véritable machine à faire danser les plus récalcitrants :
les Vive la Fête, toujours aussi frais,
et généreux. Ils étaient encore très nombreux à être
restés pour s’enflammer devant l’irrésistible
groupe flamand. Et c’est donc dans une véritable
transe que se clôt la route du rock 2005.
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Cette 15ème édition
a donc été, on l’aura compris, une réussite en
terme de fréquentation (26 000 personnes sur
l’ensemble du week-end). Mais le festival sera parvenu
à garder néanmoins son caractère convivial et festif.
Les organisateurs semblaient très satisfaits :
« Cette année,
on a peut être réussi à mettre en place ce dont on rêve
depuis longtemps. Depuis des années, on veut être un
festival populaire mais sans concession. On veut aussi
aider des groupes ignorés. On avait là le schéma
quasi parfait ». Et si certains nouveaux
groupes très attendus n’ont pas déçu (Maximo
Park, Art
brut), les anciens (Cure,
Wedding Present et Yo La
Tengo) ont délivré, de leur côté, des sets
denses, habités et jamais ronronnants comme on aurait
pu le craindre. De quoi inciter les programmateurs à
renouveler l’expérience (même si on doute que tous
les grands groupes, susceptibles de les intéresser,
puissent présenter la même fraîcheur que ceux de
cette année).
Enfin,
accessoirement, on a pu constater qu’une rumeur met
exactement un an et un mois pour aller de Dour à
Saint-Malo. En effet, la folle rumeur (« Johnny
est mort ») qui avait envahi la plaine wallonne il
y a 13 mois est réapparue sur le site malouin, mais que
tout le monde se rassure : l’idole des jeunes est
encore et toujours parmi nous.
Guillaume
Duranel
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